La salle de bal est inondée de lumière. Des masques plus beaux les uns que les autres s'attardaient près d'un buffet raffiné. Ils firent leur petit effet. Les maîtres de maison, des amis des parents de Graziella, vinrent à leur rencontre. Ils ne purent parler longtemps avec eux d'autres invités les suivaient. Le bal commença et plusieurs de leurs amis vinrent les féliciter et les entraînèrent dans leur sillage. Leurs pensées ne furent plus que pour la fête.Finalement ils restèrent plus tard que prévu, ils en sortirent un peu grisés. La ville repoussait la nuit des ses milliers de lumières. La fête vibrait tout alentour. De la musique courait d'un campo à un autre. Les gens n'avaient plus envie de se coucher.Les souvenirs de Giovanni s'embrouillent à partir de là. Il ne sait plus très bien pourquoi ils repartirent à pied. Ils souriaient de leur démarche un peu titubante. Autour d'eux la foule était revenue. Partout des jeunes gens riaient et allaient en groupes ou en couples. Toute la jeunesse de Vénétie semblait s'être donnée rendez-vous dans ces ruelles étroites. Leurs costumes soulevaient des vagues d'admiration et les gênaient dans leur avancée. Le couple de touristes les croisa sans les reconnaître. La femme tenta de les photographier sans succès, ce n'était ni le lieu ni l'heure. Cette photo impossible lui fit perdre son compagnon avalé par la masse de monde. La foule sortit comme un bouchon de champagne sur un campiello où elle se répandit. Des jeunes gens écoutaient là un orchestre. Certains s'étaient mis à danser. Lorenzo et une jeune fille, auréolés de joie, essayaient de faire entrer dans la danse les passants. Il prit la femme par la main pour l'entraîner délicatement dans la danse. Elle lui sourit mais s'effaça. Une journée entière de déambulations dans la ville, un bon repas et l'empilement de quelques années lui alourdissaient les jambes. Lorenzo repartit vers une autre quête toujours aussi léger. Sa légèreté entra délicieusement dans les pensées de la femme. Elle retrouva son compagnon lui prit le bras et ils repartirent souriants vers leur hôtel. Ils rencontrèrent la bande de Giuseppe, riant aux éclats, ils venaient d'entrer dans un magasin dédié aux matous pour y acheter leur pitance et tenir ainsi leur rôle jusqu'au bout.
Graziella et Giovanni en eurent assez d'être bousculés. Ils décidèrent de prendre des chemins de traverse. L'air avait pris le mordant de la glace. Graziella frissonna. Giovani la serra contre lui pour la réchauffer. Il la prit par la main et ils se mirent à courir. Leurs rires et leurs pas ricochèrent contre les murs en écho à ceux assourdis de la foule au loin. Leurs vêtements flottaient comme de grandes corolles derrière eux. Ils entrèrent dans un long sotoportego et tout bascula. Des hommes habillés en spadassins les attendaient. Ils les bousculèrent. Ils avaient des épées à la main. Dans la mêlée Graziella tomba. Une fleur rouge grossissait sur son corsage. L'un des hommes cria. "La comtesse est morte, fuyons !" Une rage énorme s'était saisie de lui. Il s'était rué derrière leurs agresseurs. Il avait couru jusqu'à ce que son coeur au bord de la rupture le jette sur le bord du canal. Les hommes avaient continué vers la mer puis plus rien. Une vague rouge avait submergé ses yeux. Lorsqu'il les rouvrit il était seul et incapable de bouger.
Giovanni se redressa. Il lui fallait impérativement retourner au sotoportego. Il n'aurait jamais dû abandonner là Graziella. C'était aussi vain que dangereux pour elle de courir drrière leurs agresseurs. Un flou étrange entourait ce lieu dans sa mémoire mais peu importait. Sa démarche se raffermit. Il allait la retrouver et vivante, il ne devait pas en douter. Il chercha aussi méthodiquement que le labyrinthe de la cité le lui autorisait. La ville s'était vidée d'une grande partie de ses visiteurs. Un calme apaisant y régnait à présent. Sur les canaux les gens avaient retrouvés leurs gestes laborieux d'avant les fêtes. De peties voitures métalliques sillonnaient la ville et s'entassaient ballonnées au bord des canaux en attente d'un rendez-vous. Les bateaux poubelles arrivaient, dépliaient leurs pelles mécaniques et les hissaient vaillamment à bord. La ville faisait peau neuve et effaçait les traces de ses débordements. Sa tenue semblait décalée à présent mais il savait qu'il ne devait pas en changer. Il remonta un à un tous les rii suivis la veille, traversa les différents ponts et les campi et n'oublia pas un sseul sotoportego. Il marchait encore au ralenti. La nuit s'approchait et il cherchait toujours. Il s'y prenait mal, il comprit qu'il devait suivre exactement le même chemin. Il lui restait encore trois sotoportegi de la fondamenta di Mori, rien. Il refusait de renoncer. Il arriva sur la fondamenta de Santa Caterina. Il était épuisé et le désespoir commençait à s'infiltrer en lui. Il se laissa tomber au sol au fond de la petite corto Lovo. L'endroit était paisible et isolé. Une belle végétation le cernait. Un oiseau se mit à chanter pour lui seul. Il avait besoin de reprendre des forces. Il laissa son souffle l'emplir. Ses yeux se lavèrent de leur sel dans le vert des arbustres. Il essaya d'organiser ses pensées. Une silhouette se profila au fond du sotoportego. Il la regarda vaguement. L'ombre chinoise passa rapidement. Un couple suivit. Son coeur se figea. Les deux personnes semblaient discuter. Le sotoportego les encadrait solennellement. Le moindre détail de leur contour apparaissait fortement contrasté. Une grande ombre, une plus petite avec des jambes interminables. Son souffle haletait. Il ne pouvait plus penser, plus bouger. Elles disparurent hors du cadre. Un jeune homme, les cheveux ébouriffés, le pantalon tombant sur les fesses se découpa un instant puis disparut. Un couple suivit, ils prirent alternativement la cour en photo mais restèrent des ombres chinoises, comme effrayés par la douce lumière de la corte, avant de se retirer. Il allait se relever lorsqu'il vit deux nouvelles ombres, il retomba assis : deux personnages venaient de sortir tout droit du passé. Il reconnut leurs silhouettes, leurs perruques, il se reconnut, elle était là. Il n'arrivait plus à respirer, son coeur battait la chamade. Les silhouettes avançaient, elles sortirent de l'ombre protectrice du sotoportego et entrèrent dans la lumière maintenant ténue de la cour. Contre toute logique, elles restèrent noires et nettes et s'avancèrent sans le voir vers le rio. Une gondole sortie de nulle part les aida à traverser debout comme sur un traghetto. Ils entrèrent dans la maison d'en face par la porte d'eau. La gondole s'en alla et sortit de son champ visuel. Plus tard il vit une lumière se découper sur une des fenêtres. Les silhouettes du couple se dessinèrent dans l'élégante fenêtre vénéto gothique. Son corps pesait une tonne, impossible de bouger. Le couple disparut, les lumières s'éteignirent. Il entendit un bruit de porte, il réussit à se lever. Il alla au bord du rio : sur la gauche il vit un pont. Le couple d'ombres le traversa. Il repartit en arrière cherchant rapidement dans sa tête comment rejoindre le pont, il ne put traverser le sotoportego. Il retomba incrédule. Un bruit de course, une bousculade, un groupe de jeunes se profila dans l'encadrement du sotoportego, ils ne tenaient pas droit, le couple fut au milieu d'eux. Graziella était cernée de trop près, bousculée. Il se vit le poing dressé, un jeune homme tomba, le liquide de la bouteille qu'il tenait à la main tâcha de rouge le corsage de Graziella. En représailles quelqu'un le frappa à son tour. Il tombait sans fin, sa tête heurta violemment une borne d'incendie. Il bascula dans un gouffre soudain un choc terrible, le fond. Il sursauta et se réveilla dans son lit. Penchée vers lui Graziella le regardait tendrement. Incrédule il n'arrivait pas à reconnaître leur chambre. Il la serra contre lui avec force. Il la regardait n'osant y croire et si intensément heureux. Il avait eu peur, si peur de la perdre. Une bouffée de vie dévala en lui comme un torrent impétueux. Il fallait effacer l'horrible peur, balayer l'affreux chagrin. Elle comprit tout dans ses yeux et se laissa emporter à son tour. Elle portait encore la robe si extraordinairement bleue. Ils plongèrent dans le passé comme si leur vie en dépendait. Ils accomplirent des gestes qui n'étaient pas qu'à eux. Ils se retrouvèrent dans le rituel imposé par les vêtements mais inversé. Ils étaient dans un ralenti intemporel. Leur fougue brisa les amarres et accéléra le temps. Les vêtements volèrent autour d'eux. Leur désir pétillait comme un feu d'artifice. La nudité de leurs corps les ramena dans leur vie. L'amour leur rendit leurs gestes et leur intimité. Les vêtements restés au sol perdirent toutes traces de leur passage. Plus de tâche, plus de déchirure, pas un seul faux pli. Ils semblaient n'avoir jamais été portés. A l'aube deux jeunes gens en tenue de valets vinrent les réclamer. Clara n'eut pas le coeur de réveiller ses jeunes maîtres. Elle les prit silencieusement sur le fauteuil où ils étaient méticuleusement assemblés et les leur confia sans méfiance. Ils n'en entendirent plus jamais parler. Graziella et Giovanni n'oublièrent jamais cette extraordinaire nuit de fin de carnaval, ils lui donnèrent même un nom ou plutôt deux Orfeo et Euridice !
Marie-Sol Montes Soler
le 10 avril 2010
Illustrations photographiques et peinture : corte Lovo ©photo Aldo Venezziamente
photos©Pascal et MarisolTiepolo Gian Domenico©scène de carnaval
Merci, Marisol, d'avoir terminé cette histoire romantique de manière heureuse pour les héros...et pour nous qui lisions, inquiets au sujet de Graziella. J'ai particulièrement aimé la description du bal.
RépondreSupprimerBonne semaine à vous et à Danielle.
Anne
Moi aussi, j'adore les histoires qui se terminent bien...
RépondreSupprimerEt j'adore aussi la dernière photo de ton billet.
Bonne journée printanière, Danielle !
Norma
Merci Anne pour votre gentil commentaire qui touchera sans aucun doute Marisol.
RépondreSupprimerJ'aime également les histoires qui se terminent bien. J'ai eu beaucoup de plaisir à vous faire partager cette belle histoire.
Bonne journée à vous aussi et excellente semaine
Danielle
Norma, merci pour la visite, je partage avec toi quelques bons moments printanniers grâce à tes dernières photos de ta journée passée à Venise...vivement que je la retrouve dans quelques jours !
RépondreSupprimerbonne journée
Danielle
Anne merci pour votre fidélité je ne m'imagine même pas écrivant une histoire qui finit mal mais j'aime le laisser croire pour mieux réjouir le lecteur à la fin.
RépondreSupprimerNorma la dernière photo es aussi ma préférée.
Marisol
Orphée et Euridice,peu connu et que j'aime tant.
RépondreSupprimerJe vais te demander Danielle de m'envoyer le texte de Marisol par mail que je puisse le déguster tranquillement avec Orphée et Euridice en musique de fond.Les belles choses ont besoin d'une certaine ambiance.
J'aime particulièrement la première et la dernière photo
Bonne soirée
Je lirai ces doux papiers quand j'aurai un peu plus de temps pour les savourer.
RépondreSupprimerJe vous souhaite un bon voyage à Venise.
Des bises du sud... comme à Maïté et Anna Livia.
Martine de Sclos
OUF!!!j'étais inquiète pour Graziella...belle illustration et celle que je préfère est celle de la vue du petit pont avec les branches qui dépassent du mur...un moment d'évasion!
RépondreSupprimerAlors bonne lecture ma Françoise avec ta musique de fond à toi, je connais ta passion pour la musique classique... Je sais ce sera un très bon moment !
RépondreSupprimerbonne soirée
Danielle
Martine, merci pour les bises du Sud et les bons voeux de séjour mais je ne pars que dans une dizaine de jours...Je patiente !
RépondreSupprimerJe vous souhaite de passer un excellent moment dans l'histoire de ce couple inconnu.
Danielle
Ouf ! ce n'était pas une histoire triste, pendant le carnaval c'est la joie qui existe...Mais parfois les songes t'entraînent dans de drôles histoires !!!
RépondreSupprimerRavie que la photo te donne un moment d'évasion, il pleuvait pourtant.
Romantique...je me risque à conseiller un film que j'ai adoré, pas bête du tout et plein d'humour : "Don Juan de Marco" avec Johnny Depp et Marlon Brando. Bisou
RépondreSupprimerBon je reprends le fil des billets et je vois que j'ai de bons moments de lecture en perspective en commençant par cette histoire si romantique
RépondreSupprimerBelles photos
A bientôt
J'ai vraiment adoré!! Merci pour cette très belle histoire.
RépondreSupprimerBisous et bon week-end Danielle et Marie Sol
Mon petit Chic je ne connais pas ce film, si tu as adoré, alors je vais voir si je le trouve et j'aime beaucoup Johnny Depp...
RépondreSupprimerBisou à toi
Danielle
Je vous souhaite autant de plaisir que j'en ai eu surtout qu'en le composant j'en ai savouré chaque mot.
RépondreSupprimerà bientôt
Danielle
Merci à toi Kenza pour avoir aimé cette nouvelle de Marie-Sol qui je sais, sera très touchée par ton gentil commentaire.
RépondreSupprimerBon week-end
bisou
Danielle
Je suis sûr que tu vas adoré ! Bise. Quand mes ami(e)s, et ils ne se connaissaient pas tous, l'ont vu, ils m'ont dit :"Tu devrais voir ce film Chic, il m'a fait pensé à toi...c'est dingue..."
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