vendredi 30 avril 2010

VENISE, LA VILLE FLEUR



photo©Catherine Hédouin

...Même si on y a déjà vécu, les premières heures à Venise sont un temps d'amour. Un plaisir sans raison et sans dessein me lance, comme une balle, d'objet en objet ; mais la balle est sur l'eau : elle vole et elle glisse. Le clapotis des vagues, le pas de la gondole, l'appel du gondolier sur la lagune, le silence et la fleur de clarté, tout concourt au mirage nuptial : c'est la joie d'amour elle-même, de l'amour sans jugement, que rien ne déçoit et qui se croit sans limite. Au matin, tout est bleu de lait, bleu de lin, et pétales de rose. Il n'est point de ville plus fleur que celle-ci....(André Suarès) *

* voir l'article La Venise de Suarès sur le blog http://asautsetagambades.hautetfort.com/ paru le 24/4/2010, au sujet du livre Voyage du Condottiere- André Suarès - Editions Granit- ainsi que celui de http://www.paperblog.fr/ culture-livres publié par Ivredelivres que je remercie car on peut lire la mention suivante : les photos du blog VenetiaMicio qui donne envie de partir ou de rêver à Venise et TrameZziniMag qui vous promet une balade magique (ravie et fière d'être avec Lorenzo pour cette dédicace).


jeudi 29 avril 2010

CES PIERRES QUI FLEURISSENT....

photo©Catherine Hédouin

...Le Grand Canal est une prairie liquide, aux Champs Elysées de Neptune, une jonchée d'hyacinthes et de roses, de myosotis, d'émeraudes et de bleuets : et parfois, une des fées, touchant les fleurs, les habille toutes de nacre. Les façades ne sont que drapeaux tendus, pavillons de soie, tapis persans, dentelles déployées pour la procession diurne du Soleil Roi ; et, la nuit, pour la Reine Lune. Ville de féerie, rien n'y est sûr et rien n'y semble solide. La terre y est prestige. Le plus doux mensonge règne sur les palais de l'eau. Toutes les fées sourient et n'obéissent qu'à la volupté du moment.
(André Suarès, Voyage du condottiere, 1910)
titre inspiré du même André Suarès : "...je suis flèche et fleur moi-même, dans cet air, sur cette eau verte, parmi toutes ces pierres qui fleurissent. [...]

mercredi 28 avril 2010

BALADE PRINTANIERE


...Il s'engagea dans les ruelles qui conduisent au Ponte di Ferro et arriva bientôt sur la petite place [...], avec la façade de l'église, ombragée par une oasis de grands arbres. A gauche, il revit un coin de Venise, qui semblait peint de bitume. Depuis des temps immémoriaux, on y réparait des bateaux. Des gondoles, le ventre en l'air, reluisaient sous des couches de goudron. Le sol, les vieilles masures en planches, tout avait la même teinte chaude de bois brûlé. (Ferdinand Bac, le Mystère vénitien, 1909)

lundi 26 avril 2010

LE COUPLE INCONNU [3e épisode et fin]

La salle de bal est inondée de lumière. Des masques plus beaux les uns que les autres s'attardaient près d'un buffet raffiné. Ils firent leur petit effet. Les maîtres de maison, des amis des parents de Graziella, vinrent à leur rencontre. Ils ne purent parler longtemps avec eux d'autres invités les suivaient. Le bal commença et plusieurs de leurs amis vinrent les féliciter et les entraînèrent dans leur sillage. Leurs pensées ne furent plus que pour la fête.

Finalement ils restèrent plus tard que prévu, ils en sortirent un peu grisés. La ville repoussait la nuit des ses milliers de lumières. La fête vibrait tout alentour. De la musique courait d'un campo à un autre. Les gens n'avaient plus envie de se coucher.

Les souvenirs de Giovanni s'embrouillent à partir de là. Il ne sait plus très bien pourquoi ils repartirent à pied. Ils souriaient de leur démarche un peu titubante. Autour d'eux la foule était revenue. Partout des jeunes gens riaient et allaient en groupes ou en couples. Toute la jeunesse de Vénétie semblait s'être donnée rendez-vous dans ces ruelles étroites. Leurs costumes soulevaient des vagues d'admiration et les gênaient dans leur avancée. Le couple de touristes les croisa sans les reconnaître. La femme tenta de les photographier sans succès, ce n'était ni le lieu ni l'heure. Cette photo impossible lui fit perdre son compagnon avalé par la masse de monde. La foule sortit comme un bouchon de champagne sur un campiello où elle se répandit. Des jeunes gens écoutaient là un orchestre. Certains s'étaient mis à danser. Lorenzo et une jeune fille, auréolés de joie, essayaient de faire entrer dans la danse les passants. Il prit la femme par la main pour l'entraîner délicatement dans la danse. Elle lui sourit mais s'effaça. Une journée entière de déambulations dans la ville, un bon repas et l'empilement de quelques années lui alourdissaient les jambes. Lorenzo repartit vers une autre quête toujours aussi léger. Sa légèreté entra délicieusement dans les pensées de la femme. Elle retrouva son compagnon lui prit le bras et ils repartirent souriants vers leur hôtel. Ils rencontrèrent la bande de Giuseppe, riant aux éclats, ils venaient d'entrer dans un magasin dédié aux matous pour y acheter leur pitance et tenir ainsi leur rôle jusqu'au bout.




Graziella et Giovanni en eurent assez d'être bousculés. Ils décidèrent de prendre des chemins de traverse. L'air avait pris le mordant de la glace. Graziella frissonna. Giovani la serra contre lui pour la réchauffer. Il la prit par la main et ils se mirent à courir. Leurs rires et leurs pas ricochèrent contre les murs en écho à ceux assourdis de la foule au loin. Leurs vêtements flottaient comme de grandes corolles derrière eux. Ils entrèrent dans un long sotoportego et tout bascula. Des hommes habillés en spadassins les attendaient. Ils les bousculèrent. Ils avaient des épées à la main. Dans la mêlée Graziella tomba. Une fleur rouge grossissait sur son corsage. L'un des hommes cria. "La comtesse est morte, fuyons !" Une rage énorme s'était saisie de lui. Il s'était rué derrière leurs agresseurs. Il avait couru jusqu'à ce que son coeur au bord de la rupture le jette sur le bord du canal. Les hommes avaient continué vers la mer puis plus rien. Une vague rouge avait submergé ses yeux. Lorsqu'il les rouvrit il était seul et incapable de bouger.



Giovanni se redressa. Il lui fallait impérativement retourner au sotoportego. Il n'aurait jamais dû abandonner là Graziella. C'était aussi vain que dangereux pour elle de courir drrière leurs agresseurs. Un flou étrange entourait ce lieu dans sa mémoire mais peu importait. Sa démarche se raffermit. Il allait la retrouver et vivante, il ne devait pas en douter. Il chercha aussi méthodiquement que le labyrinthe de la cité le lui autorisait. La ville s'était vidée d'une grande partie de ses visiteurs. Un calme apaisant y régnait à présent. Sur les canaux les gens avaient retrouvés leurs gestes laborieux d'avant les fêtes. De peties voitures métalliques sillonnaient la ville et s'entassaient ballonnées au bord des canaux en attente d'un rendez-vous. Les bateaux poubelles arrivaient, dépliaient leurs pelles mécaniques et les hissaient vaillamment à bord. La ville faisait peau neuve et effaçait les traces de ses débordements. Sa tenue semblait décalée à présent mais il savait qu'il ne devait pas en changer. Il remonta un à un tous les rii suivis la veille, traversa les différents ponts et les campi et n'oublia pas un sseul sotoportego. Il marchait encore au ralenti. La nuit s'approchait et il cherchait toujours. Il s'y prenait mal, il comprit qu'il devait suivre exactement le même chemin. Il lui restait encore trois sotoportegi de la fondamenta di Mori, rien. Il refusait de renoncer.

Il arriva sur la fondamenta de Santa Caterina. Il était épuisé et le désespoir commençait à s'infiltrer en lui. Il se laissa tomber au sol au fond de la petite corto Lovo. L'endroit était paisible et isolé. Une belle végétation le cernait. Un oiseau se mit à chanter pour lui seul. Il avait besoin de reprendre des forces. Il laissa son souffle l'emplir. Ses yeux se lavèrent de leur sel dans le vert des arbustres. Il essaya d'organiser ses pensées. Une silhouette se profila au fond du sotoportego. Il la regarda vaguement. L'ombre chinoise passa rapidement. Un couple suivit. Son coeur se figea. Les deux personnes semblaient discuter. Le sotoportego les encadrait solennellement. Le moindre détail de leur contour apparaissait fortement contrasté. Une grande ombre, une plus petite avec des jambes interminables. Son souffle haletait. Il ne pouvait plus penser, plus bouger. Elles disparurent hors du cadre. Un jeune homme, les cheveux ébouriffés, le pantalon tombant sur les fesses se découpa un instant puis disparut. Un couple suivit, ils prirent alternativement la cour en photo mais restèrent des ombres chinoises, comme effrayés par la douce lumière de la corte, avant de se retirer. Il allait se relever lorsqu'il vit deux nouvelles ombres, il retomba assis : deux personnages venaient de sortir tout droit du passé. Il reconnut leurs silhouettes, leurs perruques, il se reconnut, elle était là. Il n'arrivait plus à respirer, son coeur battait la chamade. Les silhouettes avançaient, elles sortirent de l'ombre protectrice du sotoportego et entrèrent dans la lumière maintenant ténue de la cour. Contre toute logique, elles restèrent noires et nettes et s'avancèrent sans le voir vers le rio. Une gondole sortie de nulle part les aida à traverser debout comme sur un traghetto. Ils entrèrent dans la maison d'en face par la porte d'eau. La gondole s'en alla et sortit de son champ visuel. Plus tard il vit une lumière se découper sur une des fenêtres. Les silhouettes du couple se dessinèrent dans l'élégante fenêtre vénéto gothique. Son corps pesait une tonne, impossible de bouger. Le couple disparut, les lumières s'éteignirent. Il entendit un bruit de porte, il réussit à se lever. Il alla au bord du rio : sur la gauche il vit un pont. Le couple d'ombres le traversa. Il repartit en arrière cherchant rapidement dans sa tête comment rejoindre le pont, il ne put traverser le sotoportego. Il retomba incrédule. Un bruit de course, une bousculade, un groupe de jeunes se profila dans l'encadrement du sotoportego, ils ne tenaient pas droit, le couple fut au milieu d'eux. Graziella était cernée de trop près, bousculée. Il se vit le poing dressé, un jeune homme tomba, le liquide de la bouteille qu'il tenait à la main tâcha de rouge le corsage de Graziella. En représailles quelqu'un le frappa à son tour. Il tombait sans fin, sa tête heurta violemment une borne d'incendie. Il bascula dans un gouffre soudain un choc terrible, le fond. Il sursauta et se réveilla dans son lit. Penchée vers lui Graziella le regardait tendrement. Incrédule il n'arrivait pas à reconnaître leur chambre. Il la serra contre lui avec force. Il la regardait n'osant y croire et si intensément heureux. Il avait eu peur, si peur de la perdre. Une bouffée de vie dévala en lui comme un torrent impétueux. Il fallait effacer l'horrible peur, balayer l'affreux chagrin. Elle comprit tout dans ses yeux et se laissa emporter à son tour. Elle portait encore la robe si extraordinairement bleue. Ils plongèrent dans le passé comme si leur vie en dépendait. Ils accomplirent des gestes qui n'étaient pas qu'à eux. Ils se retrouvèrent dans le rituel imposé par les vêtements mais inversé. Ils étaient dans un ralenti intemporel. Leur fougue brisa les amarres et accéléra le temps. Les vêtements volèrent autour d'eux. Leur désir pétillait comme un feu d'artifice. La nudité de leurs corps les ramena dans leur vie. L'amour leur rendit leurs gestes et leur intimité. Les vêtements restés au sol perdirent toutes traces de leur passage. Plus de tâche, plus de déchirure, pas un seul faux pli. Ils semblaient n'avoir jamais été portés. A l'aube deux jeunes gens en tenue de valets vinrent les réclamer. Clara n'eut pas le coeur de réveiller ses jeunes maîtres. Elle les prit silencieusement sur le fauteuil où ils étaient méticuleusement assemblés et les leur confia sans méfiance. Ils n'en entendirent plus jamais parler.
Graziella et Giovanni n'oublièrent jamais cette extraordinaire nuit de fin de carnaval, ils lui donnèrent même un nom ou plutôt deux Orfeo et Euridice !

Marie-Sol Montes Soler
le 10 avril 2010

Illustrations photographiques et peinture :
corte Lovo ©photo Aldo Venezziamente
photos©Pascal et Marisol
Tiepolo Gian Domenico©scène de carnaval

vendredi 23 avril 2010

LE COUPLE INCONNU [2e épisode]

La foule devient trop dense. Nous voguons vers l'intérieur de quartiers aussi beaux que délaissés. Le vaporetto est bondé, malgré le froid coupant je me cale contre le bastingage. L'étendue d'eau m'ouvre les yeux sur l'infinie sérénité de la mer. Je me perds avec délices dans les sculptures cristallines et éphémères de l'élément aquatique. Je suis le trajet des bateaux chargés de denrées. Les marins ont les yeux dans les lointains.


Nous voilà dans la Giudecca. J'ai l'impression de pénétrer dans une contrée oubliée du temps. Notre solitude nous émeut. La lumière translucide nous couvre de bonheur. Nos pas résonnent sur la fondamenta San Giacomo. Un petit vent tranchant nous accompagne. nous entrons dans l'antre d'un chantier de bateaux. Nous avançons escortés par les bateaux alignés contre les murs de pierre rouge. Un lion ailé traverse noblement le passage au-dessus de nos têtes. Il zèbre élégamment le ciel de ses graphismes de guirlandes. Au bout, nous attend la mer. La grande ossature métallique d'une grue embrasse la coque d'une gondole et lève ses grands bras vers un ciel d'un bleu aveuglant. Nous sommes seuls. C'est la pause déjeuner. Nous nous enfonçons dans cette Venise de briques à ras d'eau et de ciel. Nous revenons sur nos pas. Une Vénitienne tire son caddy devant nous.



Elle escalade vivement le ponte Longo au -dessus de nous, sa jupe rouge danse, elle semble prête à prendre son envol. La descente du pont la dissimule à nos yeux, elle a disparu. Je n'ai pas le temps d'explorer ce mystère.


Un reflet me happe dans une fenêtre gothique à double pointe découpée sur une porte. Il m'immortalise un instant parmi les eaux et les maisons des Zattere. Cette ville aime brouiller les pistes. Nous laissons les heures s'effilocher au gré de nos déambulations.


- Nous n'arriverons jamais à l'heure avec tout ce qui nous reste à faire et en plus il va falloir passer à la maison pour mettre nos costumes.
- Je n'oublie pas mais tu sais bien qu'à ce type de fête tout le monde est en retard.
- Et si nous n'y allions pas tu sais bien qu'avec toi à mes côtés rien d'autre ne compte.
- Ah non ! Pour une fois que j'ai une robe que j'adore.
Voyant son air déçu elle ajoute avec un baiser.
- Nous en repartirons plus tôt c'est promis.
- Dis moi c'était qui le jeune sur le pont ?
- Personne d'important, nous étions ensemble à l'école.
Il l'attire à lui et l'embrasse goulûment. Elle s'éloigne et lui fait signe de la rattraper. Ils se mettent à courir en riant.
- Pour le bal, nous prendrons un taxi ce sera plus simple,
- Je t'adore !

Ils rejoignirent en fin d'après-midi l'exquis palais qu'ils avaient investi depuis peu. Ils l'adoraient et ils étaient très fiers d'habiter la demeure de célèbre peintre Tiziano. Ils rêvaient souvent ensemble de la vie de ce palais cinq cents ans plus tôt. Clara, leur employée de maison vint leur ouvrir. Dans leur chambre les costumes étalés n'attendaient plus qu'eux. Ils furent saisis par leur beauté. Ils les avaient choisis il y avait de cela plusieurs semaines et ne s'en rappelaient plus très précisément. Cette année ils fêtaient leur première année de mariage et ils avaient voulu y mettre un faste particulier. Ils avaient donc opté pour de véritables costumes du dix-huitième. Ils avaient eu des costumes plus spectaculaires mais ceux-là étaient d'une harmonie et d'une grâce touchantes. Ils étaient parfaitement assortis. La couleur bleue pastel y était traitée en un camaïeu d'un très grand raffinement. Les dentelles ne débordaient pas de toutes parts mais étaient d'une délicatesse infinie. Les tissus étaient de velours, de taffetas, de soie et de brocart avec des motifs brodés qu'ils n'avaient vus que sur des tableaux. Tant de perfection les impressionna et ils commencèrent à s'habiller dans un silence respectueux. Ce fut comme un rituel extrait d'une mémoire ancienne. Ni lui, ni elle ne connaissaient bon nombre des pièces de ces vêtements mais ils surent parfaitement les ajuster. Ils se surprirent même à les nommer. Elle l'aida à enfiler son justaucorps suivi des culottes courtes sous lesquelles se glissèrent les bas de soie. Ensuite vint la chemise avec son jabot en dentelle fine et le gilet aussi long que la veste avec un boutonnage serré et des poches basses. Elle accomplit tous ces gestes avec minutie et sensualité. Leurs regards en disaient long mais le temps leur manquait et une solennité inhabituelle s'était immiscée entre eux. Enfin la veste de brocart, elle s'ajustait exactement à son buste bien galbé et s'évasait en bas avec des manches serrées et ornées de galons. Il termina sa tenue par des chaussures plates et noires avec une boucle. Une perruque à ailes de pigeon couronna ses yeux noirs. Elle recula pour mieux le voir.
- Tu es sompteux, je te déshabillerai bien !
- Non c'est à mon tour de m'occuper de toi.
Il se mit à l'habiller avec un minutie dont il ne se serait pas cru capable. Il l'aida à superposer plusieurs jupons ornés de délicates dentelles de Murano. Il serra le corset autour de sa taille si fine et plaça le corps baleiné pour donner de l'ampleur à la robe flottante et à ses plis Watteau. Les corsages prirent place avec leur douce lumière de soie mettant en valeur la rondeur de sa jeune poitrine. Il ne put se retenir d'y déposer un baiser. Elle le ramena d'un sourire sur les plissées verticaux de ses manches. Il s'oublia dans un long baisemain. Elle enfila ensuite des bas de soie qui le perturbèrent longuement et des escarpins en soie à talons très hauts. Elle acheva sa transformation avec une haute perruque garnie de fleurs. Il ne l'avait jamais vue aussi belle. Elle semblait presque une autre.
- Splendide, tu es splendide ! Se dirent-ils en coeur et ils partirent assez émus dans leur bateau taxi.

Je ne comprends pas ce qui s'est passé se répète à nouveau Giovanni, seul et désespéré au bord du canal. Comment est ce possible que Graziella soit morte ! Je ne puis le croire. Il remarqua qu'il avait encore sur lui le magnifique costume bleu mais tout froissé et même déchiré aux manches. Il avait sans doute trop bu mais il ne pouvait douter de ce qu'il avait vu, il chassa les images du corsage de son amour tâché de sang. C'était trop. Il se concentra sur ce qui avait précédé. Il tenta de se rappeler les différentes étapes de cette soirée. Il revoie son merveilleux sourire, il ne l'avait jamais vue aussi radieuse et belle.


- J'ai envie de toi lui murmura-t-il à l'oreille.
Elle lui envoya un regard plein de promesses. Ils débarquèrent au pied du palais par la porte d'eau. Des invités nombreux se pressaient à l'entrée. Côté rue des gens envieux les regardaient. Graziella souriait à tous. Sur son passage fleurissaient les sourires. L'escalier large et haut, couvert de tapis rouge et or était éclairé par des bougies. Cela lui donnait un grand mystère. Ils avaient l'impression d'avoir changé de siècle. Ils montaient. Giovanni regardait Graziella les yeux débordants lorsqu'il vit son sourire se figer. Il suivit son regard. Face à eux, sur le palier, un immense portrait de femme les dévisageait. Elle était vêtue de bleu exactement comme Graziella. Elle portait une haute perruque blanche. Même le merveilleux sourire qui illuminait son visage poudré était le même que celui de Graziella. Ils en eurent le souffle coupé. Comme les gens s'impatientaient derrière eux ils reprirent leur montée un peu abasourdis....[à suivre]

Marie-Sol Montes Soler
le 10 avril 2010
©photos Marisol et Pascal

jeudi 22 avril 2010

LE COUPLE INCONNU (1er épisode)


L'eau lèche inlassablement la pierre. Sa langue râpeuse meurtrit les marches engourdies. Il est là, au bord du canal, les yeux dans la vague. Elle entre en cadence dans ses pensées. Elle barbouille de gris ses iris. Elle y dépose l'écume de son amertume. Il regarde sans la voir la mer se découper au fond de la fondamenta de Cannaregio. Sa respiration gonfle son chagrin. Son corps peu à peu se pétrifie. La douleur est trop forte, elle va l'emporter. Il ne sait s'il se penche, peu lui importe d'ailleurs. Plonger dans l'eau. Sentir l'épaisseur du liquide, se laisser pénétrer par le froid, ne plus remuer bras et jambes, ne pas se battre contre les remous. Il secoue la tête. Sortir de cette douleur, la laisser là et partir. La masse épuisante du ciel efface palais et canaux. Ses yeux se noient dans l'eau de la lagune. Des mouettes criardes rayent le fond de son regard. Plus rien n'existe hormis l'irrémédiable absence. Graziella n'est plus. Il rejette de tout son être cette insupportable vérité. Non, c'est impossible, il la sent trop fortement en lui. Oui, elle est encore là, au fond de lui. Minuscule et si vivante. Elle est là, je la vois.

Nous avançons dans la foule. Cette ville devient insupportable pendant le carnaval. Des milliers d'intrus viennent y rêver les yeux ouverts. Je la tiens dans la coque protectrice de mes bras. Nous avançons dans un seul souffle. Son corps svelte et rond palpite contre ma peau. La rage d'un lion anime mes pas. Nous tranchons la foule en crue. Les murs tanguent sous cette marée. Je n'ai peur de rien, je suis un marin, un capitaine et je vogue droit ma belle dans mes bras. Elle a mis pour moi sa jupe courte et sa doudonne anthracite. Ses longues jambes sont gainées de gris perle. Je porte un manteau en laine à la coupe cintrée de la même couleur. Nous avançons, nous sommes attendus. Une fête dans un palais. Je suis impatient de quitter cette foule, ces gens qui ne me ressemblent pas. Mes joies ne sont pas les leurs, j'ai besoin d'espace, de hauteur.

Je suis derrière eux, leur cohésion me fascine. Ils semblent faits d'une autre matière. Ils restent liés malgré les ballottements de la foule. Ils vont à leur rythme coupant l'épaisseur du monde de leur seule volonté. J'ai du mal à respirer dans cette cohue, mon compagnon m'a encore oubliée. Je trottine loin derrière lui. Je les perds. Je serre mon appareil photo d'une main, mon sac de l'autre. Cette avancée n'en finira donc jamais !

J'en ai plus que marre. J'entrevois une ruelle sur le côté, je la harponne et je m'arrache aux flots touristiques. J'ai mis ma joie en bandoulière depuis ce matin. Je suis arrivé à vélo de Mestre pour rejoindre mes potes. J'ai laissé ma bécane à la gare et hop ! J'ai sauté dans le premier vaporetto. Venise me voilà ! Je me sens léger, mes pieds piqueraient bien un petit sprint. J'ai une faim de loup. La journée est belle, le froid, je le sens même pas ! Elles sont rigolotes ces mémés emmitouflées. Je suis descendu à San Marcuola mais il y avait trop de monde. Me voilà loin des ruées dans le Cannaregio profond. Ce sera à peine plus long par ici. Quelques canettes de bière chantent dans mon sac à dos. Avec de la chance je retrouverai la bande de Giuseppe près du pont des Soupirs. Je slalome dans ces ruelles que je connais depuis l'enfance. Un large sourire s'est installé dans mon visage. Je suis heureux. Je me pose quelques instants sur le Ponte Chiodo. Je fais semblant de m'appuyer sur le parapet inexistant. Je garde la pose et me plonge des années en arrière. Un couple droit devant moi s'avance vers le pont. La fille est un canon en jupe courte. Ils se tiennent par la main, ils sont dans leur bulle. J'aimerai bien être à la place du mec. Il a un manteau gris à la coupe impeccable, les cheveux longs au carré sortis tout juste du coiffeur. Rien à voir avec mes jeans trop longs et mes cheveux que j'ai réconfortés d'une vague caresse. Ils s'approchent, je ne peux détacher les yeux de la fille. Elle m'envoie un sourire : Graziella ! Il me regarde interrogateur sans ralentir. Ils me font presque perdre l'équilibre. Merde ! Je n'ai rien où m'accrocher. Je fais un rétablissement acrobatique. Ils tournent devant le pont, elle se retourne retenant son rire, lui aussi se retourne le regard tranchant. Ils s'éloignent en longeant le canal San Felice. Mais quelle beauté ! Elle a bien changé la petite Graziella qui s'asseyait sur les mêmes bancs d'école que moi. Il est vrai que nous n'étions pas du même monde et que nous le sommes encore moins aujourd'hui. Mes parents ont dû quitter Venise pour Mestre. Je me secoue et je file vers la piazza San Marco.





- Lorenzo ! Mais qu'est ce que tu foutais, on t'attendait.
- Je lève les yeux au ciel. J'ai revu Graziella, c'est un bombe maintenant.
- Et pourquoi elle est pas là avec toi ?
- Elle était accompagnée de très près.
- Alors passons à autre chose.
Ils m'entourent tous bruyamment. Ils se sont déguisés en chats et miaulent à qui mieux mieux en se frottant contre moi. Je les repousse et nous éclatons de rire. Des familles joyeuses traversent le ponte de La Paglia bondé. Ils resplendissent dans leurs costumes faits maison. La fête donne des couleurs à tous se jouant du froid. Les enfants courent devant, les mères rient de leurs moindres mimiques, les pères se battent avec les mécanismes des jouets fraîchement achetés, un oeil attendri sur leurs bambins.

Nous voilà arrivés sur la piazza San Marco. Il y a déjà beaucoup de monde malgré l'heure matinale. Notre appareil photo en joue notre couple se défait chacun à l'affût. Des masques splendides s'épanouissent un peu partout. Ils sont entourés de leur ronde éphémère. La foule va et vient en ondes concentriques autour des cailloux colorés jetés là par le carnaval. La pièce est connue de tous. Les rôles principaux prennent la pose dans des tenues aussi extravagantes que codifiées. Les visages sont figés dans une éternelle jeunesse sans état d'âme. Les tissus les plus sompteux assemblent savamment leurs couleurs chatoyantes. Les accessoires reprennent le motif et apportent une touche théâtrale et personnelle. Les détails les plus délicats s'accumulent. Une voix humaine sort parfois de ces décors sompteux, presque anachronique. Le rituel est immuable. Le masque cherche un lieu propice : une colonne du Palais des Doges, un café prestigieux comme le Florian, la lagune et ses gondoles. Les places sont rares, les prétendants nombreux. Ils doivent souvent se contenter du ciel pour décor. Quand la scène est prête les acteurs entrent en jeu. Le premier rôle déploie ses poses, joue de ses accessoires, les soupirants se prosternent et enferment ses reflets dans leurs boites à photos. Des sourires, de petits signes de remerciement clôturent les scènes. Les soupirants si attentifs une seconde plus tôt tournent définitivement la page de leurs désirs vers un autre masque. Au milieu des tableaux se glissent souvent des figurants, ils veulent être immortalisés aux côtés des vedettes du carnaval. Ils sont de plus en plus envahissants, leurs sourires rebondissent sur l'impatience des photographes. Des seconds rôles se taillent un nouveau succès. Leurs costumes de marquis et de marquises sortent tout juste du magasin de location. Leurs attitudes sont modestes et empruntées, elles contrastent avec celles aristocratiques des vrais vénitiens ou de ceux que je prends pour tels. Ils ne se cachent pas toujours sous un masque. Ils sont attendrissants et viennent du bout du monde.
Mes genoux crient leur colère. Afin de fuir les milliers de visages qui cernent les masques je prends les photos accroupie. Il est temps de partir !....[à suivre]
Marie-Sol Montes Soler
le 10 avril 2010
©photo Marisol
ponte Chiodo©photos Danielle Mozziconacci

mercredi 21 avril 2010

LA GONDOLE

Photos©Catherine Hedouin
Avec le lion de Saint-Marc, elle est le véritable symbole de Venise. Son nom, aux origines incertaines, est le résultat d'un étrange mélange de latin et de grec, en passant par le turc ; mais, à coup sûr, elle tient du Levant la magie de son élégance orientale. L'embarcation actuelle est l'étonnant résultat d'un travail de charpenterie très élaboré, façonné par des siècles d'expérience.
Au XIVe siècle, Venise comptait un nombre impressionnant de gondoles, plus de dix mille. De couleurs variées, à l'époque, celles des patriciens étaient décorées de riches étoffes, de brocarts et de draperies dorées, d'un luxe si ostentatoire et excessif que le Magistrato alle Pompe, sorte de grand maître des cérémonies, prit un décret qui imposait une couleur unique, le noir, à toutes les gondoles, les contraignant ainsi à une élégance nouvelle, mieux assortie à la ville.
La gondole renoue avec sa glorieuse splendeur à l'occasion de la célèbre Regate historique. Les témoignages littéraires abondent, de Hermann Hesse qui aimait se faire transporter des journées entières à travers les îles de la lagune, à Lord Byron, qui préférait suivre la sienne à la nage. Discrète et silencieuse, elle a souvent servi les rencontres amoureuses. Corto Maltese aimait conduire la sienne personnellement et, au dire de son ami gondolier, Occhi di Fata, c'était un rameur acceptable.
La gondole est une sorte de machine à remonter le temps : prenez ce fantastique moyen de transport, la nuit, quand l'eau est assez haute - la vision architecturale change à marée haute ; d'autre part, à marée basse, la magie se transforme en aventure sinistre, envahie d'odeurs nauséabondes dues aux évacuations des maisons, que l'eau ne recouvre plus, et aux égouts qui se déversent dans un décor de film gothique. Choisissez donc bien votre soirée pour vous laisser ensorceler !
Dans le calme et l'obscurité, les canaux, voies de communication capitales de la vie d'autrefois, vous feront silencieusement glisser au coeur des veines de la ville et de ses reflets magiques. Un dernier conseil : évitez à tout prix les sérénades organisées à plusieurs gondoles.
Le fer de proue mérite une attention particulière. Cet étrange peigne que l'on appelait aussi "éperon" ou "dauphin" prit les formes les plus variées au cours des siècles, ornant indifféremment la proue ou la poupe. Sa forme actuelle ne se stabilisa qu'au milieu du XVe siècle. La tradition populaire fait correspondre un quartier de Venise à chacune de ses dents et voit dans la partie supérieure la corne ducale (le bonnet que portait le doge de Venise et qui avait une pointe arrondie sur le derrière).
extraits©1997-2009 Casterman Venise itinéraires avec Corto Maltese Hugo Pratt

mardi 20 avril 2010

VENISE SILENCIEUSE

...."On aime à Venise se saturer d'Or".....Alain Vircondelet


photo©catherine Hédouin

..."Nous y entrons sous le signe du silence et de l'ombre. La molle odeur lacustre de tout à l'heure s'est changée en une odeur saline, plus âcre, plus forte, une odeur de port et de marée. Nous glissons sur de minces canaux qui creusent des coupures entre de hautes façades de marbre ou de brique où le clair de lune laisse apercevoir de bizarres lucarnes, des sculptures en saillie, des avancées de balcons. Tantôt ces façades ont leur base dans l'eau, tantôt elles reposent sur d'étroits quais dont la dalle résonne au pas d'un rare passant. Il est tard et c'est une Venise déjà endormie qui s'offre à nous, où veille seule la lumière des réverbères et de quelques fenêtres encore éclairées"....(Henri de Régnier, La vie vénitienne, 1928)

lundi 19 avril 2010

VENISE LA NUIT, SI BELLE ET MYSTERIEUSE

photo©Catherine Hédouin
..." C'est une heure délicieuse que celle où, au crépuscule, Venise s'allume. Elle prend un air de mystère et de secret"... (Henri de Régnier, la vie vénitienne, 1928)

dimanche 18 avril 2010

OMBRES ET LUMIERES

photo©Catherine Hédouin


..."Abandonnez-vous aux émotions qui vous envahissent et ne réagissez point contre la langueur qui s'empare de vous. En bien peu de temps vous comprendrez l'influence magique que de pareils spectacles exercent sur ceux qui les voient depuis leurs premières années et pourquoi tant de Vénitiens ne veulent connaître aue leur bien-aimée Venise"....

Henry Havard

LE FAN CLUB



GRAZIE MILLE DAME KALI !!!
Je suis super content de faire partie du nouveau et very Select club "The Kali's club".
Jetez un petit coup d'oeil et admirez les Stars !!!
Merci Dame Kali, Merci Norma
MICIO


samedi 17 avril 2010

ECHANTEMENT DE LA LUMIERE

..."C'est une permanente transfiguration du même paysage, avec des dégradés si subtils qu'ils se fondent à mesure qu'on les analyse : le temps de les rechercher dans le monde infini des couleurs, et ils se sont déjà évaporés. Il est des instants, le matin surtout, où les valeurs deviennent inexprimables, tant il s'y mêlent de reflets fugitifs, comme d'une soierie qui flotterait sous le vent. Il en est d'autres, plus faciles à capter, où tout s'absorbe dans une vapeur d'émeraude ou dans un poudroiement d'aigue-marine. J'ai vu des aubes où le ciel entier avait la couleur chaude qu'à la chair de la pêche de vigne, à quoi répondaient, comme une basse continue, l'orangé de la brique et l'incarnat des tuiles. Qu'il passe un nuage, et les perspectives prennent des tonalités de tapisseries anciennes. Qu'il pleuve, et tout se dilue dans des gris impondérables et des reflets de perle fine"...
(Venise au visage masqué -Intimité de Venise©A. T'SERSTEVENS-Arthaud 1969)

vendredi 16 avril 2010

PONTE DE LA CORTE NOVA


..."Heureuses les villes qui ont comme témoins avant-coureurs du bonheur qui émane de leur histoire comme de leur âme, le pinceau de l'artiste et le stylo de l'écrivain."....
Jean-Claude Simoën (le voyage à Venise)

jeudi 15 avril 2010

LA REINE DES SIRENES

..."Je trempais dans un prisme liquide, toutes les couleurs et toutes les nuances, depuis le pourpre jusqu'au reflet de la soie verte la plus pâle, quand elle est comme l'ambre ou comme la liqueur d'absinthe, à peine battue d'eau. L'oeillet rouge du ciel s'éparpillait en pétales sans nombre. Une caresse de l'air me touchait tendrement au front et aux tempes. L'odeur énivrante de la mer me vint aux narines, le souffle suave et salé qui lève des flots. Enfin, des clochers pointus sortirent de la lagune, comme les épines d'une rose ; et ils étaient safran, du bout. J'arrivais. On rêve de Venise, avant d'y être. Et sans le savoir, soudain, on y est en rêve. Ce fut ainsi, à la fin du jour, que j'entrai chez la Reine des Sirènes.
André Suarès

mercredi 14 avril 2010

MELANCOLIE DU COTE DE SAN BARNABA...

..."Si on rêve à Venise, c'est avec des sensations, non avec des idées."
Hippolyte Taine
..."C'est le ciel, le soleil, la lumière dorée, les marbres blancs et roses, les ombres transparentes, que sais-je ? C'est le charme, c'est la vie, la paresseuse rêverie qui s'empare de tout votre être, qui prend possession de votre cerveau, qui pénètre votre coeur, pendant que l'air moite caresse votre visage et vous baigne dans ses énervantes vapeurs. On resterait là des heures entières à ne rien faire, à ne rien dire, à ne rien penser, - que dis-je, des heures ! des journées, des années, toute sa vie ! "...
(Henry Havard)

mardi 13 avril 2010

VENISE ET SON DOUBLE

..."Venise est le pays où l'on juge le mieux de la beauté des choses"...(Stendhal )


Photos et tableaux ©Ange Mozziconacci

..."Qui donc m'avait parlé de la tristesse de Venise ? Il n'a donc jamais vu cette lumière, ce ciel ardent et délicat, ces eaux généreuses, ce mouvement, cette vie marine ? Il n'a donc jamais respiré cet air salin, entendu ces cloches et vu monter d'un jet triomphal ces deux colonnes de porphyre dont une porte, à son sommet, sur la table de son chapiteau byzantin, le vol stable du Lion aux ailes de bonze ?"...Henri de Régnier

lundi 12 avril 2010

LA LUMIERE DE VENISE

Posted by Picasa
..."Il est vrai que Venise est d'humeur changeante. Le temps peut se modifier très vite et s'il ne faut jamais désespérer, il est également imprudent de se réjouir trop vite. Les couleurs, elles aussi, varient d'un moment à l'autre. En une heure, la lumière dorée devient rose ou argentée, le ciel passe du bleu clair au bleu foncé, voire au mauve, l'eau des rii, verte il y a un instant, tourne au gris ou au brun. La pierre ou la brique des palais et des églises épouse des nuances successives dans une symphonie blanche, jaune, rose, ocre ou "chair de saumon", comme disait Paul Morand.".....
extraits de Venezianamente de François de Crécy©Editions du Rocher, 2005

dimanche 11 avril 2010

UNE LUMIERE D'OR

photo©Catherine Hédouin

..."Ne demandez à Venise que votre agrément. Êtes-vous amateur de beaux jeux de lumière sur les pierres et sur les eaux ? Elle vous en offrira. Recherchez-vous le silence ? Elle vous en donnera. Venise ne s'impose pas, elle se prête. Contentez-vous d'être heureux des beautés qu'elle vous propose"....

Henri de Régnier (L'Altana ou la vie vénitienne, 1899-1924)

samedi 10 avril 2010

LA COULEUR EST NEE DE L'EAU

... au désert canal du soleil Où Dorment les barques et l'eau ....
Edmond Rostand et Jules
photo © Hédoin Catherine
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Sur l'eau verte, grise OU bleue
Des Canaux et du canal,
UNO couru Avons Venise
à Saint-Marc De l'Arsenal,
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Au vent vif de la lagune
Qui l'oriente gré le fils d'un,
J'Ai vu ta Tourner Fortune,
Ô Dogana di Mare!
********
Le soleil chauffe les dalles
Sur le quai des Esclavons;
Tes détours et tes Dédales,
Venise, Nous Savons les!
*********
Henri de Régnier

vendredi 9 avril 2010

VENISE DE MARBRE ET D'EAU

Posted by Picasa
Photo ©Catherine Hedouin
..."Aucune ville au monde, ni New York, ni Ispahan, ni Lahore, ni Persépolis, ni Palmyre ou Fathepur Sikri, ni Florence ou Sienne - ni même Paris, Jérusalem, ou Rome, la ville par excellence -, n' a suscité autant de rêves et fait couler autant d'encre que Venise. D'autres ont des murs d'enceinte, de grands parcs ombragés, des arcs de triomphe, des jardins à la française, Venise la rouge est faite de marbre et d'eau. Elle est posée sur la lagune et sur trois cents îlots. Toutes ses rues sont liquides.Elle est la reine des mers et des songes"....
©Jean d'Ormesson de l'Académie Française (préface de Venise entre les lignes)

jeudi 8 avril 2010

REFLET ET PONTS

photo de Catherine Hedouin ...qui me fait le plaisir de m'envoyer de très belles photos.

Ce matin, comme chaque jour, je prends mes"petites vitamines" chez Daniela et Luca de http://www.e-venise.com/ et je vous assure qu'ensuite j'ai la forme pour la journée, ce qui me permet
de patienter. Encore quelques semaines et j'y serai, pas pour la vie mais pour quelques jours...
Pour accompagner ce billet, je reprendrai les mots de Daniela et Luca....

...."La douceur Vénitienne n'est pas seulement celle du printemps.
La douceur Vénitienne, c'est celle de la vie à Venise, une vie simple faite de petits riens, qui coule au rythme de nos pas, au rythme de la vie...la vraie vie." (daniela-luca©e-venise).
merci à eux .

mardi 6 avril 2010

LE SECRET



Je me suis affalée sur le sol dans le fracas métallique de mes vieux os. Je n'en pouvais plus. Continuer m'était devenu impossible. Mes larges jupes empilèrent leurs couches désordonnées à la recherche d'un improbable équilibre. Je sentais couiner ma carcasse au moindre mouvement. Les années s'étaient jetées sur moi comme une meute de chiens affamés. Elles avaient tout rongé dedans comme dehors. Ma peau désormais s'écaillait de toutes parts. Mes ouvertures édentées n'étaient plus que des puits d'ombre. Mes lignes graciles et élancées zigzaguaient dangereusement. Je risquais de m'écrouler à tout moment. Plus personne ne venait me voir. Ils avaient tous déserté mon foyer. Dans un sanglot je revis les fastes des jours passés. En ces jours heureux je brillais de toutes parts. Les cierges irradiaient la joie des visages qui se pressaient autour de moi. Je me souviens de l'odeur de l'encens, des chants repris à l'unisson par petits et grands. Seule et vieille voilà mon sort actuel, si seule, si usée, si près de la mort. Le campo est toujours là. La vie y grouille les jours de marché. Je les entends ces ingrats, ils parlent de moi, ils ont honte. Pourtant ils sont responsables en grande partie de ce qui m'arrive. Pourquoi ont-ils cessé de venir me voir, de s'occuper de moi ? Pourquoi les enfants me jettent-ils des pierres, pourquoi leurs parents me dépouillent-ils de mes derniers ornements. Ils parlent de mes béquilles, je sais que je leur fais peur. Combien d'entre eux sont venus partager avec moi leurs joies et leurs peines ! Tous, je les connais tous ceux qui les yeux baissés conspirent à ma perte. Ils voudraient tant me voir disparaître. Comme elle est courte leur mémoire. Nombre d'entre eux ont trouvé refuge chez moi lorsqu'ils avaient faim ou froid. Nombre d' entre eux ont été bercés dans mes bras. Nombre d'entre eux ont pour moi mis leurs plus beaux habits de fête. Maintenant ils ne voient plus que les lézardes qui défigurent ma belle façade. J'ai beau me redresser, essayer de raviver mes dernières forces, je sens que chaque parcelle de mon corps cherche à se détacher de l'ensemble. Un fil ténu assure la cohésion de ma structure, jusqu'à quand ?
Ces êtres minuscules savent-ils que j'ai défié le temps pendant plusieurs siècles ! Eux dont la vie est si courte ignorent tout de cette ferveur qui présida à ma naissance. Ils ne peuvent même pas imaginer ce que fut ma gloire. J'ai pourtant survécu à tant de tempêtes, tant de guerres, tant de malheurs. J'ai partagé avec eux tant de rêves, tant d'espérances, tant de bonheurs. Mais aujourd'hui délabrée de toutes parts, abandonnée, rejetée je ne tiens debout que par la force de mon courage. Je tiens encore car je serre en mon coeur mon dernier secret. C'est lui que je protège, c'est pour lui que contre toute logique je maintiens mon grand corps en vie. Chaque soir il se glisse par une des lattes défoncées et se glisse dans son trou. C'est ainsi qu'il appelle le petit nid douillet qu'il s'est approprié au fond de mon choeur. Enroulé dans une vieille soutane il dort. Je le regarde, je veille sur son sommeil. Plus d'une fois une pierre est malencontreusement tombée sur les pieds ou la tête de ceux qui le poursuivaient. Ils n'insistaient pas trop longtemps. Il est mon dernier rayon de soleil, mon dernier pupille. Il est si jeune ! Ses yeux savent tout voir, tout comprendre. Je le vois détailler l'agencement de mes colonnes, les courbures de mes chapiteaux. Son vieux maître n'est plus avec lui mais ses leçons sont encore dans sa tête, je le lis dans ses yeux. Il doit continuer son apprentissage et mon antre est le meilleur des professeurs. La trace des mains des artisans du passé est encore chaude malgré les années, il en déroule l'écheveau fil à fil. Alors je tiens, année après année. Je sais qu'il essaie de rallier à ma cause d'autres tailleurs de pierre mais il est trop jeune trop peu important. Personne ne l'écoute, de toute façon, c'est trop tard, je me sais condamnée. Alors je lui offre ici une sculpture exceptionnelle, là une fresque, là une volute en bois qu'il va échanger contre de la nourriture. C'est ainsi que peu à peu je le vois grandir et que je m'affaiblis. Je sais que lui aussi finira par m'oublier comme tous les autres. Mais il est le dernier, celui que j'aime avec l'opiniâtreté de mes forces ultimes. J'ai vu sa taille s'élever, ses muscles tendre ses vêtements. Il était temps je n'en puis presque plus.
Alors ils sont arrivés avec leurs machines de destruction. J'ai fermé les yeux sur lui, devant moi seul, il les a fermés aussi. Nous les avons rouvert ensemble. Debout, rester debout jusqu'au bout.
Mes murs hurlèrent lorsque la machine les cogna avec force. Mon grand portail s'effondra le premier, il n'était plus qu'un arceau vide. Ma jolie tourelle le suivit s'affaissant sur elle-même dans un fracas de cristal.
Alors dans un cri interminable s'exhala l'énorme souffrance enfouie là qui désarticula l'ossature de l'église de San Paternian. Tout s'effondra. Un silence terrible inonda la place de sa poussière oppressante. L'église n'était plus qu'une montagne de gravas. Recroquevillé sur lui-même blanc de poussière, un tout jeune homme était secoué de sanglots. La nuit qui tombait embrasa de carmin la lagune et se perdit dans ses larmes. Il veilla sa mère adoptive toute la nuit. Il se leva avec la transparence de l'aurore. La clarté avait envahi son coeur, il s'approcha des restes de l'église et découvrit une petite statuette restée intacte. Il la serra contre son coeur, les vieilles pierres lui faisaient une dernière offrande. Il s'éloigna transi mais une espérance immense gonflait dans ses veines.
Il n'oublia rien, il transmit sans relâche toute sa vie le savoir des anciens bâtisseurs et il fut l'un de ces anonymes qui contribuèrent de leurs mains à la construction des églises et des palais de Venise qui lui ont survécu.
En perdant son église le campo perdit aussi son nom.
Pourtant les Vénitiens n'ont pas oublié les valeurs de courage en cette place. Elle est désormais présidée par la statue de Daniele Manin le dernier défenseur de Venise contre les Autrichiens. Ses derniers mots sont toujours dans le coeur des Vénitiens : " Un peuple qui a fait ce que notre peuple a fait ne peut périr. Nous avons semé : les germes donneront une moisson de gloire !".
Marie-Sol MONTES - SOLER
lundi 5 avril 2010
...Petit commentaire de Marie-Sol...
Maïté MaVenise avait fait paraître cette photographie ancienne sur son blog, et j'ai ressenti deux choses fortes dans cette image la douleur de cette bâtisse délabrée et la sensation qu'elle retenait en son sein quelque chose, le secret lui convient donc parfaitement et laisse au début planer un petit doute sur la narratrice.
Document : photo de 1874 tirée de VENISE, photographies anciennes de Dorothea RITTER©1994 Inter-Livres
Seules les poutres de soutien empêchent le reste de la façade délabrée de San Paternian de s'effondrer complètement ; cette photographie fut prise à l'intention des autorités vénitiennes pour fournir une preuve du travail de restauration indispensable.
On édifia une caisse d'épargne à la place de l'église et on rebaptisa le campo du nom de Manin d'après le monument à Daniele Manin qui y fut érigé.
Merci à Maïté MaVenise à qui j'ai emprunté ces documents.

LA 6e PHOTO DU BLOG



Thé au Jasmin
me propose un tag original
dont les règles sont les suivantes :
I- afficher la photo n°6 de son blog
II- puis choisir 10 blogs en indiquant les liens
afin de générer des visites sur ces blogs

Voici la 6e photo qui illustrait mon billet du 15 août 2009
REFLETS

que je vous propose de découvrir ou de redécouvrir




Je propose donc le jeu aux blogs suivants :
Françoise Autour du puits
Maïté Ma Venise
AnnaLivia Mes carnets Vénitiens
Colibri Cuisine(s) et Dépendance(s)
Anne Miscellanéesanne
Stef* Venise la part des Anges
Martine Per l'amore di Venessia
Les peintures de Norma C
Chic FTTMIOW
Aldo Venezziamente
..........
Tous les liens sont sur le côté de la première page de VenetiaMicio ...et où vous pourrez en choisir encore tellement d'autres !!!


lundi 5 avril 2010

VENISE TRANQUILLE

Posted by Picasa
"...Venise ne s'appartient plus à elle-même, elle est le bien de tous, notre bien, notre ville, notre rêve, notre havre de silence. Qu'elle ne change pas, qu'elle ne bouge pas, qu'elle soit la Belle au Bois Dormant dont nous avons tant besoin. Que pour elle et pour nous, grâce à elle, le temps ne s'écoule pas ! Et il s'écoule si vite ! " (Fernand Braudel)

samedi 3 avril 2010

S.PIETRO DI CASTELLO



Un quartier qui sent le chanvre et le sel....Le temps s'est immobilisé dans ce quartier qui sent bon le linge fraîchement lavé. On le voit sécher joyeusement aux fenêtres tandis que les femmes s'interpellent et bavardent d'une cour, d'une fenêtre à l'autre ; les jeux des enfants résonnent, les vieux, installés autour de petites tables, jouent aux cartes. (Porte de la Mer, itinéraires avec Corto Maltese).

Joyeuses Pâques à tous...

vendredi 2 avril 2010

UNE HISTOIRE DE BIBLIOTHEQUE...VENITIENNE






Il y a quelques jours, Michelaise (Bon Sens et Deraison) avait lancé le jeu facultatif de montrer sa bibliothèque (pour elle, ce fut ses bibliothèques)...
Françoise (Autour du Puits) avait à son tour, présenter la sienne avec "Encore des Livres", suivi de "Toujours des livres" !
Comme nous aimons les jeux dans notre petit groupe, je me lance aussi.
Je ne vais pas vous montrer la mienne qui est un capharnaüm, un peu bohème ! Les livres n'ont plus assez de place et de nouvelles étagères envahissent toutes les pièces et recoins. Voici seulement quelques clichés, par-ci, par-là, de ce qui est cher à coeur, c'est-à-dire Venise !
J'éviterai de vous parler d'un certaine pile de livres (environ une quinzaine) en attente de lecture...

LIEU DE SORTILEGE, DE MAGIE ET D'ILLUSION

photos© Catherine Hedouin
N'est-ce pas, en effet, ici un lieu étrange par sa singulière beauté ? Son nom seul provoque l'esprit à des idées de volupté et de mélancolie. Dites : "Venise", et vous croirez entendre comme du verre qui se brise sous le silence de la lune...."Venise", et c'est comme une étoffe de soie qui se déchire dans un rayon de soleil...."Venise", et toutes les couleurs se confondent en une changeante transparence. N'est-ce pas un lieu de sortilège, de magie et d'illusion ?


Henri de Régnier

jeudi 1 avril 2010

POISSON D'AVRIL

Antonio PAOLETTI Marché aux poissons à Venise (huile/toile) collection particulière.

...



Quand il n'a pas de quoi acheter une livre de riz, il se met à chanter un choeur pour se distraire de la faim ; c'est ainsi qu'il défie ses maîtres et sa misère, accoutumé qu'il est à braver le froid, le chaud et la bourrasque. Il faudra bien des années d'esclavage pour abrutir entièrement ce caractère insouciant et frivole, qui, pendant tant d'années, s'est nourri de fêtes et de divertissements. La vie est encore si facile à Venise ! La nature si riche et si exploitable ! La mer et les lagunes regorgent de poisson et de gibier ; on pêche en pleine rue assez de coquillages pour nourrir la population. Les jardins sont d'un excellent revenu : il n'est pas un coin de cette grasse argile qui ne produise généreusement en fruits et en légumes plus qu'un champ en terre ferme.

George SAND