samedi 11 juin 2011

SIRE SURIÀN (5e épisode)


...La petite tend vers sa mère ses yeux verts radieux. Silencieuse la jeune femme se penche et lui dépose un baiser sur le front. Ses longs cheveux souples échappant à leurs liens tombent en cascades sur les épaules de la petite, caressant ses joues rondes. Morgana les rejette en arrière, saisit leur lourde masse qu'elle enroule et attache à nouveau, silencieux, son mari la regarde intensément puis il dit à leur fille :

-Tu sais bien ma belle Organdina que ta maman est un peu sorcière !

-Arrête tes bêtises et viens plutôt m'embrasser Antonio, lui répond la jeune femme.

-Dis moi maman as-tu pu travailler sur mes patins ?

-Pas aujourd'hui ma chérie, j'avais une commande urgente mais c'est promis je m'y remets dès que j'ai un moment. Comment s'est passé ta matinée Antonio ?

- Les enfants, je ne sais pourquoi, étaient particulièrement agités aujourd'hui, je n'arrivais pas à les faire travailler correctement, heureusement ma botte secrète a bien fonctionné.

-C'est quoi ta botte secrète papa ?

-C'est de leur conter une histoire, à chaque fois cela les calme.

-Quelle histoire leur as-tu raconté aujourd'hui, demande Morgana ?

-Celle du lion de Saint Jérôme.

-Ah ! s'exclame sa femme le regardant étrangement. C'était parfait.

-Et pourquoi donc ma beauté ? Sa femme prenant cet air de conspirateur qu'il lui connait si bien, il n'insiste pas.

-Raconte moi la, papa, supplie la petite fille.

-Il y a très, très longtemps Saint Jérôme aurait secouru un lion qui souffrait d'une épine dans la patte et après cela l'animal reconnaissant serait resté avec lui et lui aurait été très dévoué mais c'est promis, je te la raconte en détail ce soir à ton coucher.

-Tu as oublié que ce soir je dors chez mamie !

-Alors ce sera pour demain, ma toute douce. Après une caresse à sa petite il se tourne vers sa femme. Que nous as-tu préparé de bon Morgana ?

-Des spaghettis à l'encre.

-Chouette, j'adore maman !

-Et toi ma fille comment cela s'est passé à l'école ?

-Ma maîtresse à moi elle aussi nous trouvait très énervés alors on a chanté plein de chansons et moi j'ai beaucoup aimé.

Noil s'accroupit aux pieds de la petite fille que ses parents encadrent de leurs yeux affectueux, une assiette l'attend. Pendant un moment on n'entend plus que des petits bruits de bouche, chacun manipulant avec dextérité sa fourchette et se délectant de la sauce exquise.

-Regarde maman, même Noil a des dents noires de pirate.
Ils éclatent tous de rire se regardant alternativement.
-Mon dessert va laver tout cela comme un océan, précise Morgana.

- C'est quoi ton dessert demande Organdina les yeux pétillants.

- C'est le préféré de ton papa, tu veux aller le chercher Antonio ? Il est au frigo.

Pendant que l'homme va à la cuisine la maman s'approche de sa fille, lui souffle quelque chose à l'oreille et lui glisse une petite boite dans les mains. Le papa revient avec un magnifique tiramisu.
Elles l'accueillent par un retentissant " Joyeux anniversaire ". Un magnifique sourire illumine le beau visage d'Antonio suivi d'un regard surpris lorsque sa petite fille s'approche de lui et, très fière, lui tend un petit paquet. Il interroge des yeux l'une et l'autre et devant leur mutisme complice, il commence à enlever le papier cadeau. Un bel écrin rouge apparaît, il l'ouvre hésitant et découvre émerveillé une extraordinaire bague. Il s'approche de la fenêtre, se penche et l'observe attentivement. Un silence heureux ouate la pièce. Une tête de lion d'un grand réalisme s'allonge sur l'anneau. Sa patte avant droite se prolonge autour de l'anneau puis encadre de ses griffes acérées sa tête furibonde. Il ouvre la gueule découvrant ses crocs effilés, ses narines sont


dilatées, ses yeux étirés par la colère et soulignés par des sourcils froncés. Toutes ces parties en relief patinées par des années de frottements ont une douceur dorée. Deux petites oreilles rondes se dressent au-dessus d'une crinière balayée en arrière par le vent dont les mèches sont ciselées avec précision. Antonio est bouleversé, soudain la lumière entre dans les yeux de l'animal d'or et ricoche sur les yeux jaunes de Noil qui, discrètement se faufile dehors.
Dans le cadre de la fenêtre Antonio prend dans ses bras Morgana et Organdina.

-Tu n'aurais jamais du me faire un tel cadeau Morgana !

-Cela fait des années que je te vois dévorer des yeux cette bague, chaque fois que nous passions devant l'orfèvre du rio de San Stin. Il est vrai que maman habitant tout près, nous franchissions quotidiennement le pont, face à sa boutique, pour aller récupérer Organdina.

- C'est vrai mais depuis qu'elle vient à l'école avec moi nous y allons moins régulièrement.

-Je sais bien mais tu crois que je ne remarquais pas qu'à chaque visite à ma mère ton oeil s'échappait vers la vitrine. Il l'embrasse avec fougue.

-Sais-tu que c'est une bague de Doge ?

-Bien sûr ma chérie, c'est pourquoi je dis que tu es une véritable magicienne !

Noil regarde derrière lui, les aperçoit et reste songeur. Il a reconnu le lion de la bague et décide d'aller retrouver les anciens.
Dans sa tête restent longtemps fixée l'image de cet homme avec ses longs cheveux raides attachés dans la nuque serrant dans ses bras l'envoûtante Morgana. En attendant, le ventre plein il se sent heureux. Il passe d'une ruelle à l'autre d'un pas alerte. Cette ville labyrinthe est la sienne, il en connait les parcours les plus secrets, il s'y glisse avec aisance passant ponts et sotoportegi sans jamais s'y perdre. Il a un rendez-vous. Ses yeux semblent plus étincelants, son pelage ondule comme le sable sous le soleil. Il hume les odeurs qui flottent autour des murs et montent des canaux, ils sont comme autant de chemins ignorés des humains. Après des tours et des détours connus de lui seul dans lesquels il a laissé des messages appropriés, le voilà dans le vaste campo San Lorenzo. L'énorme façade austère de l'église domine de toute sa hauteur le puits hexagonal. Trois portes immenses équilibrent les lignes horizontales des briques orange, elles s'organisent en symétrie autour de la porte centrale nettement plus grande et chacune d'elles est chapeautée par une baie en demi-lune. Minuscules mais reprenant la même forme épurée de maison, de petites cabanes de bois sont gentiment alignées à gauche de la grande porte centrale. Elles sont meublées de confortables coussins et leurs deux étages s'abritent sous une bâche en plastique. De fringants suriàns y bénéficient des largesses de mammas vénitiennes. Noil s'approche, des chats de toutes les couleurs ont élu domicile là.

Mais à cette heure seuls quelques uns sont là, assoupis. Un petit garçon tend hardiment la main vers un noir et blanc qui le regarde avec sa drôle de petite tâche noire sur le bout du nez. Il accepte ses caresses et se frotte à sa paume. Les gamelles sont vides, quelques pigeons picorent les restes. Ses amis ne sont plus là. Il s'éloigne, l'heure du repas passée il sait qu'ils aiment se détendre dans un endroit plus discret, loin de la foule des grands bruyants.

Il rejoint rapidement la calle del Lion et en passant devant la Scuola degli Schiavoni il songe au lion de Saint Jérôme. "Je crois que la grande nuit approche, tous les signes sont là !". Il accélère le pas et quelques ponts plus tard il rejoint le rio di San Francisco de la Vigna.


En quelques bonds, il se retrouve sur une grille rouillée et pénètre dans le Parc Perdu. Une petite forêt vierge a pris là ses aises. Des arbres qu'aucun jardinier n'essaie plus de contenir grimpent à l'assaut du ciel. Des herbes folles courent partout jouant à cache-cache avec de longs rubans de lierre. Des mulots ont colonisé le sol et des oiseaux les arbres et les toits de la grande maison délaissée. "Voilà un endroit de rêve !" Il avance toutefois avec précaution, il y a toujours là de nouveaux venus et il devra faire patte douce, entrer dans leur territoire sans invitation est toujours dangereux.



Un cri strident et Petit Gris surgit de nulle part, les oreilles aplaties sur son crâne, le corps tassé, le poil hérissé, les yeux exorbités, toutes dents dehors. Noil au garde à vous prend la même pose. Ils se jaugent, les yeux à l'affût du moindre geste, essayant d'impressionner l'autre par des sifflements rauques. Petit Gris tel un éclair lance la première attaque., griffes et crocs en avant, Noil réplique avec la même violence. Ils ne sont plus qu'une boule de furie hérissée de pointes et de hurlements. Petit Gris détale. Un chat énorme, au long pelage noir et blanc s'avance en majesté, autour de son cou, des mèches blanches et soyeuses lui dessinent une superbe crinière rehaussant la beauté de ses grands yeux verts. Il renifle Noil qui fait de même, ils repartent ensemble comme de vieux amis. Un peu de partout d'autres chats surgissent, les saluts se poursuivent. Ceux du clan de Petit Gris se tiennent alignés sur le rebord d'un mur, impassibles, leur chef, penaud observe de loin. De longs conciliabules secrets se tiennent. Les querelles sont délaissées. Tout est décidé, ce sera pour cette nuit...(à suivre)

Marie-Sol MONTES SOLER

La photo des chats de S'Lorenzo est de CLEIA
Les photos des chats de S'Francesco de la Vigna sont de Maïté blog MaVenise.
Les photos du rio et du campo S'Francesco de la Vigna sont de Catherine Hédouin, ainsi que la superbe photo de la terrasse fleurie...

10 commentaires:

  1. Quel plaisir de retrouver ce texte enchanteur au fil de Venise. J'ai aimé la compagnie des chats, me perdre dans les herbes folles et attendre l'épisode qui viendra surgir des secrets conciliabules....
    Bon Dimanche Danielle.

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  2. Tout comme Hélène Flont j'ai eu plaisir à naviguer au fil de ces lignes en compagnie de tes photos ronronnantes
    Chaleureusement
    Rose

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  3. Danielle, mi indichi dove trovo i precedenti 4 episodi? Foto naturalmente belle e quella con le colonne è il luogo dove sono state girate molte scene del "Commissario Brunetti", serie televisiva molto seguita, la domenica sera su France 3.
    Buona notte.

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  4. Charme et beaute dans le texte et les images...bravo :) j'en profite pour te feliciter Dany pour tes dernieres photos Venetiamicio :) Bises

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  5. Scusa per averti chiesto dove trovare le altre puntate. Non mi ero accorto che le avevi indicate tra gli altri post che potevano interessare. Buona notte.

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  6. Elio en l'absence de Danielle je me permets de vous indiquer que vous trouverez les épisodes précédents de l'histoire de Sire Surian en fin de blog sous le libellé " NOUVELLES "
    Merci pour votre intérêt pour ce récit.
    Marie-Sol, l'auteur des nouvelles mises en ligne par Danielle

    traduction automatique Google
    Elio, in assenza di Danielle lasciate che vi dica che troverete precedenti episodi della storia di Sir Surian al fine del blog con il titolo "NOUVELLES"
    Grazie per il vostro interesse in questa storia.
    Marie-Sol, autore del nuovo inviato da Daniele

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  7. Marie-Sol, grazie, ma come vedrai sul commento precedente me ne ero accorto. Visto che a video non è molto facile leggere ho fatto un "copier-coller" su un foglio word e leggerò con calma. Ho trovato il testo interessante. La prossima volta non è necessario che tu traduca in italiano i tuoi testi. Capisco e parlo sufficientemente bene il francese, ma non lo scrivo talmente bene da permettermi di lasciare dei commenti nella vostra lingua. Con i vari accenti e le coniugazioni ci metto un'ora per scrivere qualche riga. Scusatemi.

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  8. Joli texte, jolies photos, on ne se lasse pas des épisodes de Sire Zurian.
    Je sais que tu n'es pas là, Danielle, je pense à toi, tu dois arpenter la Sérénissime à la recherche d'une porte, d'un sottoportego, d'un rio, d'un jardin, d'un puits, faire des decouvertes, t'arreter dans une trattoria, parler aux zuriani, tu vas nous ramener des merveilles...
    Profite bien, j'allais écrire : enivre toi bien de Venezia, mais c'est cela, enivre toi... et ramène tes malles pleines de secrets...
    Bisous
    Nathanaëlle

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  9. En ce premier jour de l'été, je vous souhaite un anniversaire très heureux dans une ambiance vénitienne.
    Anne

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  10. Je ne vous oublie pas et je vais reprendre le fil de la belle histoire de Sire Suriàn, juste le temps de descendre de mon petit nuage vénitien...
    Merci à vous tous d'être venus faire un petit tour, et de m'avoir imaginée là-haut dans mes nouvelles balades qui j'espère vous plairont comme d'habitude !
    a presto
    Danielle

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