vendredi 23 octobre 2009

LES VENISES DE MARIANO FORTUNY





Fortuny peint par lui-même en 1940.

Un coin de l'atelier où les tableaux de Fortuny semblent constituer un petit salon des allégories.
La table à dessin et le guéridon-lampe sont également de Fortuny.
Né à Grenade, élevé à Rome et à Paris, il se fixe, avec sa mère, devenue veuve, à Venise en 1889. Venise, en ces années-là, c'est tout à la fois la Renaissance et l'Orient dont rêvent les esthètes saisis par cette maladie des siècles qui s'achèvent, le passéisme.
De Paris, de Londres, d'Amérique même, on accourt à Venise avec l'impression de visiter une sorte de Byzance proche. Henry James croise Henri de Régnier; Hérédia, Albenitz, José-Maria Sert sont reçus par Mme Fortuny, que son deuil rend plus majestueuse, dans son palais du Grand Canal.
En 1900, Fortuny a vingt-neuf ans, son beau visage clair-obscur semble procéder de la pénombre d'un tableau du Gréco. Dédaigneux du présent, il n'est épris que d'un lointain siècle d'or qu'il prétend faire revivre pour son plaisir. Il lui faut un lieu où faire triompher ce goût d'un sublime anachronique. Il traverse quelques ponts, jusqu'au palazzo Orfei. Cette ancienne demeure du XVe siècle ne retient plus grand chose des fastes patriciens de jadis. Les salles d'apparat ont été loties et cloisonnées en petites pièces où les artisans ont leurs ateliers. C'est dans l'une d'elles que Fortuny s'installe d'abord. Peu à peu, il reconquerra tout le palais, abolira les ajouts disgracieux infligés par deux cents de décadence. Peintre, photographe, créateur de meubles, d'étoffes et de ces fameuses robes dont le narrateur d' A la recherche du temps perdu rêve d'habiller Albertine, Fortuny déploiera son génie pour faire du palais qui porte aujourd'hui son nom, un univers selon son coeur.
Dans le grand salon-atelier qui prend jour par des fenêtres en ogive, une lumière argentée pénètre. Les murs desparaissent sous des damas mordorés et les brocards sombres parcourus de guirlandes couleur de lune. Fortuny compose ses étoffes comme un joaillier ses parures, il choisit des gemmes aux miroitements nuancés et les allie les uns aux autres : l'opale exalte l'améthyste, un ruban d'or gris souligne l'éclat d'une topaze fauve, la matité du jaspe relance les feux du grenat. Des coffres sculptés, des crédences massives et chantournées se détachent sur l'arrière-plan soyeux des tentures, et le bois roux qui luit contribue bizarrement à cette impression. (Editions du Regard-photos Sacha Van Dorssen-texte F-O Rousseau)

2 commentaires:

  1. Comme elle est émouvante, cette table à dessin!
    Le tissu est une matière très humaine, qui a affaire à quatre de nos sens. Fortuny le sublime dans la création de ses motifs somptueux. Merci pour ces publications.
    Anne

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  2. Quel personnage!
    A cette époque que de créateurs de grands talent, ça fourmille dans cette intelligentsia.

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