lundi 12 octobre 2009

LA FORTERESSE DU VIDE

L'histoire de l'Arsenale, comme celle de toutes choses déchues, est triste. Venise n'est plus la Serenissima depuis longtemps. Mais elle a gardé son pouvoir de séduction et, toujours coquette et perfide, elle offre sa propre nostalgie en spectacle et continue à survivre en jetant sa poudre aux yeux. L'Arsenale n'est plus depuis longtemps son ventre chaud, sa matrice glorieuse. Vidé de son sang et de sa fonction, il s'est claquemuré dans un silence hautain, les pieds dans les détritus, les yeux fermés sur un secret inutile, les oreilles sourdes aux polémiques des politiciens et des commerçants qui se disputent les recettes miracles à sa résurrection. A l'ombre de ses tours qui rappelaient à Le Corbuier celles du Kremlin, le quartier appelé encore Castello, et dont le coeur battait au rythme des allées et des venues de ses "arsenalotti", ces fiers ouvriers à qui l'on devait jusqu'au XVIe siècle la construction d'une galère par jour!...ce quartier se meurt, exsangue. Les "calle dei corazzieri", des "bombardieri"ne résonnent plus que des pas égarés de quelques touristes venus s'échouer là comme des méduses, au pied des lions grecs qui montent encore la garde devant l'ancien pont-levis du château-fort définitivement baissé. Fiers ils pouvaient l'être, ces quelques cinq cents arsenalotti ! De leur talent naissaient les fameuses galères vénitiennes, conçues pour être équipées à la fois en navire de guerre et en navire de marchandises. De leurs mains sortait aussi le Bucintoro, palais flottant sur lequel le Doge quittait la lagune pour aller épouser la mer. Et c'était pour construire ce joyau-là, entre 1544 et 1547, que l'on dut construire une cale sèche spéciale, couverte bien sûr, et dont la façade fut dessinée par l'architecte alors en vogue Michele Sanmicheli...
texte Elisabeth Vedrenne et photo John Batho

1 commentaire: