Torcello
photographies Sonja Bullary et Angelo Lomeo
de pierre et d'eau Venise et Vénétie
©archives VenetiaMicio
...Ses larmes d'enfant fusèrent et son corps reprenant vie se précipita. Sa mère était là, assise devant sa porte, la tête dans les étoiles. Mais le ciel était vide d'étoiles et le corps de sa mère vide de vie. Il resta longtemps prostré, la tête dans les genoux de sa mère. Le froid et la dureté qui étaient désormais en elle s'insinuèrent en lui. Il se releva. Il porta le corps sans vie de sa mère, ce corps qui déjà s'éloignait. Il la mena au coeur du labyrinthe. Il la posa avec beaucoup de délicatesse, l'embrassa une dernière fois et sortit du lieu sacré. Il s'assit là où elle se tenait et il attendit. Les heures du jour s'égrenèrent une à une, il revit son enfance jour après jour. Il vit sa mère, son corps de géante contre lequel il aimait se blottir enfant, son rire, son chant, ses merveilleuses mains qui l'avaient protégé, émerveillé. La nuit se posa sur lui feuille à feuille. Une lune en majesté prit possession du ciel. Il se redressa, il était prêt. La lune déposa un linceul de lumière sur sa mère. Alors d'un commun accord toutes les pièces de poteries entrèrent en mouvement et dans un ballet de cascade cristalline et dorée elles recouvrirent entièrement le corps. Des éclats de lumière jaillirent toute la nuit du cairn. Au matin tout était achevé. Un petit pot était posé au pied, il le prit. C'était un ouvrage d'une rare beauté, le visage de sa mère avec sa longue chevelure noire y était peint et de l'autre côté celui d'une jeune femme très belle avec des tresses dorées. Il regarda longuement les deux visages jusqu'à en imprégner sa peau puis il l'enveloppa délicatement dans un des tissus faits par sa mère et le glissa dans son balluchon. Il partit aussitôt. Tout était prêt. Avant son arrivée, quelques poissons séchés, du sel, du pain l'avaient attendu sur la table ainsi que quelques vêtements et une belle corde : sa mère avait tout préparé. Il ne reviendrait qu'avec la jeune inconnue.
Il se dirigea vers l'île du trône, elle était forcément liée à sa mère. Le paysage avait bien changé. De nombreuses maisons entouraient la basilique. Il s'approcha. La place s'ornait en son centre d'un puits. Une jeune femme y plongeait le seau de bois pour remplir sa jarre. Elle lui tournait le dos mais il reconnut dans un frisson ses longues nattes. Il s'approcha le coeur battant, les jambes raides. Le soleil jouait avec ses boucles blondes. Elle était à portée de main, il sentit la douce odeur de sa peau. Elle se retourna brusquement et il reçut en plein visage l'éclat de ses yeux noirs. Un ravissant bandeau orné d'un coquillage bleu retenait l'ampleur de ses cheveux. Ses sourcils se froncèrent et elle lui tourna le dos. Elle finit sa corvée ignorant sa présence. La jarre pleine elle s'en alla laissant derrière elle un chemin de gouttes et des effluves dont il ne pouvait plus se détacher. Il la suivit de loin. Elle s'enfonça dans les bois tout proches et se dirigea vers une maison basse, assoupie non loin des bords de la lagune. Un filet étendait ses longues mailles entre des branches, une barque était tirée hors de l'eau. Quelques volailles picoraient les alentours. Deux jeunes enfants jouaient aux osselets devant la maison. Ils accoururent à l'approche de la jeune fille et se mirent à lui parler gaiement, il ne comprit pas leur langage. La voix d'un homme appela de l'intérieur. Le coeur de Myrlio se serra, elle n'était pas libre. Il s'éloigna, sa mère ne pouvait s'être trompée ! Il retourna au bord de l'eau, sortit un poisson et du pain et commença à manger les yeux perdus dans le bleu de la lagune. L'image de la jeune femme dansait en surimpression sur le miroir de l'eau. Son repas achevé il sortit la petite poterie de son doux emballage. Toucher ce tissu lui rappela sa mère et un voile de douleur passa dans ses yeux. Il retrouva son visage peint. Une douceur inattendue l'envahit. Sa mère lui transmettait sa force. Il demeura là longtemps se laissant bercer par l'eau et le ciel, ses pensées plongeant dans ses souvenirs heureux. Le soleil vigoureux le sortit de sa torpeur, il entra dans la mer pour se rafraîchir. L'eau glissait sur ses muscles avec volupté et lui rendait sa force. Les mouvements de sa nage éveillaient son corps à la vie. Il venait de comprendre le message de sa mère, il devait aller de l'avant. Il nagea loin calmant son chagrin. Il songea soudain au petit pot et revint vers la berge. Il s'y retrouva exténué mais apaisé. Son baluchon était là, un enfant fouillait dedans. Il se précipita et récupéra son bien violemment. "Spiranza, Spiranza" hurlait l'enfant. Myrlo ne comprit pas ses paroles. Sa propre colère tomba devant la terreur du petit garçon. Il essaya de le calmer mais l'enfant s'enfuit en répétant le même mot. Myrlio regarda le visage de sa mère, il crut la voir sourire. Dans les jours qui suivirent Myrlio fut très occupé. Il s'était fait connaître auprès des autorités et avait manifesté le désir de s'installer sur l'île. On lui avait indiqué un terrain en bordure d'eau, infesté de moustiques mais qui lui plaisait par son isolement. Il abattit quelques arbres pour se fabriquer une cabane. En attendant il dormait dans un vague abri de branches et pêchait pour se nourrir. Deux petits garçons vinrent régulièrement l'observer. Très absorbé par sa tâche il ne les remarqua pas les premiers jours. Leur manège finit par éveiller sa curiosité, mais dès qu'il faisait mine de s'approcher, ils s'enfuyaient. Il eut l'idée de se regarder dans le reflet d'une mare et il découvrit à quel point son visage était hirsute. Il coupa ses cheveux et sa barbe trop longs et dès le lendemain les enfants s'enhardirent. Il s'habitua à la musique de leur langue et finit par reconnaître certains sons. Les enfants eux aussi s'habituèrent à lui et peu à peu il les apprivoisa. Il apprit même leur nom : Iwo et Veit. Un jour ils vinrent accompagnés. Il faillit tomber du toit où il fixait les derniers ajoncs. La jeune femme éclata de rire. Il s'empressa de descendre mais glissa piteusement, la petite troupe s'esclaffa de plus belle. Quand il les rejoignit Veit le plus jeune des garçons se mit à courir autour de lui en répétant "Spiranza". Leur conversation fut très limitée mais ils repartirent tenant chacun dans ses mains des poissons séchés enroulés dans des feuilles, selon la recette de sa mère. Cette nuit là ne fut interrompue par aucun cauchemar, le visage de Spiranza avait chassé les ténèbres. Il s'éveilla le lendemain avec le soleil et son premier souci fut sa toilette. Il récupéra une grande quantité de poissons et partit les vendre au marché. Il fut surpris par les sourires qui fleurissaient sur son passage. Ils avaient vécu si longtemps en reclus lui et sa mère qu'il avait oublié la chaleur des contacts humains. Il laissa s'épanouir sa joie et ses poissons très bien préparés se vendirent bien. Il recommença les jours qui suivirent avec le même succès. Il y retrouva un jour Spiranza au bras d'un homme. Leurs yeux respectifs s'emplirent de brume. Chacun d'eux détourna son regard, sous l'oeil interrogatif de l'homme. Il rentra chez lui fort désappointé, ignorant toutes les marques de sympathie qui jalonnaient son passage. Il poursuivit son projet et se rendit chez un tailleur pour acheter de nouveaux vêtements. La chose était un brin ridicule, mais enfin... Il poursuivit ses ventes au marché avec le même succès. Il commençait à mieux comprendre cette langue et ces gens. Il s'habillait comme eux et il espérait faire partie de leur monde. Il aimait bien le nom qu'ils avaient donné à leur île : Torcello. Mais les occasions de voir Spiranza étaient rares, il ne pouvait aller contre les usages de ces lieux, même Iwo et Veit venaient de moins en moins, leur père devait le leur avoir défendu. Il finit par se demander s'il ne devait pas partir, pour la première fois de sa vie sa mère s'était trompée, cette jeune femme n'était pas pour lui. Il n'arrivait pourtant pas à se résigner, il sentait en lui une attirance impossible à éteindre. Il ignorait si elle était partagée. Trop de fois il l'avait vue l'éviter. Un soir sa mère lui apparut en rêve....(à suivre)
Marie-Sol Montes Soler
Marie-Sol Montes Soler
La maison des cinq têtes
Ah, ces deux photos de Torcello, tout un programme de bonheur...
RépondreSupprimerMagie de l'eau, magie du texte, une journée qui démarre bien grâce à Marie-Sol et à toi...
Bises, Danielle.
Norma
Je me régale simplement des photos.
RépondreSupprimerLa première est une merveille
Pour la nouvelle j'attends sagement la fin je la lirai tranquillement au coin de la cheminée
Bises
Moi aussi , j'attends sagement la fin de la nouvelle pour la lire, tranquillement, dans mon coin secret...et en apprécier pleinement l'inspiration et l'écriture très élégante..
RépondreSupprimerJe lève mon verre de prosecco à la nouvelle ambiance de ton blog . Une ambiance feutrée , très classe qui met parfaitement photos et textes en valeur...cette fois, ça y est, tu as osé franchir le pas , BRAVO!
Bises
Danielle
Félicitations pour la nouvelle apparence délicate et raffinée de votre blog, Danielle.
RépondreSupprimerJe continue à lire avec un infini plaisir les aventures de Myrlio, à tel point que j'en oublie presque d'admirer les photos qui sont pourtant très belles. Merci à vous et à Marisol pour ces passionnantes publications.
Anne
Norma, des images défilent dans ma tête tout le long de l'histoire et il est parfois difficile de trouver dans mes photos ou celles de Cath.
RépondreSupprimerJ'ai du faire appel à ce livre...un soupçon de Torcello dans l'eau !
bisous
Ouf! cette photo m'a sauvée, il y a des moments où les visions et émotions sont dures à transmettre, je me sentais seule et abandonnée au milieu de ma lagune vénitienne !!!
RépondreSupprimerbisous ma Françoise
Merci pour le verre de Proseco Danielle, j'en avais bien besoin, et pour tout...le billet et le blog !
RépondreSupprimerJ'ai apprécié ton soutien
bisous
Merci et ravie que le tout vous plaise ma chère et fidèle Anne. Mes deux amies se partageront bien évidemment avec moi vos gentils commentaires.
RépondreSupprimerbonne journée et à bientôt