à Mai@
Grâce à elle je viens de passer les plus beaux matins en lisant ses chroniques...
Une, deux, parfois trois, avant de commencer ma journée, des petites histoires
de jours comme les autres... comme les nôtres,
attachants, amusants, émouvants,
à lire et à relire. Merci Mai@
Voici la dernière histoire de Viento...
Demain posé.
Un jour, je serai une vieille dame... C'est décidé ; je porterai un chapeau de paille. En fait, je choisirai un Panama Montecristi. Il faut trois mois pour le fabriquer à la main, il a un pli marqué sur la tête pour pouvoir le plier et le rouler. Léger comme une plume, il aura un ruban d'un gros-grain marron, et on aura légèrement blanchi sa couleur à la fumée de soufre comme le veut la tradition. Je choisirai une chemise blanche de coton très fin, comme les kurta traditionnels de l'Inde et un pantalon. De toute façon, je pourrai tout me permettre, parce que je serai une vieille dame et que, privilège de l'âge oblige, celui qui osera me faire une remarque sur mes extravagances vestimentaires tâtera de ma canne, que j'aurai choisie en palissandre et à pommeau. Compte tenu de toutes les promesses électorales que les hommes politiques de tous bords ne manqueront pas de faire sur l'extraordinaire réussite de leur programme en faveur des retraites, je ne doute pas un seul instant de l'excellence de mon niveau de vie dans les années à venir, ce qui me permettra d'envisager avec la sérénité d'un bonze tibétain, quelques folies dépensières que personne n'aura alors l'affront de me reprocher. Bon, où en étais-je ? Ah, oui, à l'aise dans ma tenue estivale (acceptez qu'à l'hiver de ma vie je m'invente un été à perpétuité), j'installerai ma chaise longue de toile bayadère sur le bord de la plage. Ce sera, bien sûr, une véritable flâneuse avec une têtière et une armature en hêtre, des accoudoirs et un repose-pieds. Là, je regarderai le temps mourir sur la lagune, l'Adriatique est sublime en cette saison et la mosaïque de couleurs des maisons qui borde l'île de Burano est une splendeur. On dit que ce sont les femmes qui choisissent une couleur vive pour que leur époux, pêcheur, puisse repérer de loin la maison, surtout par temps de brume ou après une soirée trop arrosée. Moi, je n'attendrai personne. Je ne mènerai aucune lutte acharnée contre le temps et je ne me sentirai pas prise de court par la vie qui se sera envolée. Il n'y aura plus d'urgence, juste de la langueur, la fascination de la lenteur... et la beauté, le surgissement libre de la beauté du jour qui meurt sur Venise. Devant mes yeux, un peu voilés par la cataracte naissante (ce flou visuel et cette tendance à la baisse de l'acuité de mon ouïe me rendront bien service, le monde parviendra alors dans une brume ouatée qui rendra sans doute mes jours plus doux) le tunnel de mes urgences passées défilera comme dans un film des années trente, muet, en noir et blanc et au ralenti. Lasse d'avoir trop couru, je calerai mieux mes jambes sur le repose-pieds. Il y aura de l'ironie dans mon regard sur ces fadaises d'autrefois qui me nouaient l'estomac à l'âge des angoisses quinquagénaires. Dans mon transat je digérerai fort bien, par contre, la meringue vanillée savourée avec une gourmandise enfantine dans les salons de l'Hôtel Luna Baglioni, Calle dell'Ascensione... un photographe un peu attentif ne manquera pas de capter dans son objectif les fines poussières de sucre, là juste à la commissure des lèvres, l'empreinte d'un plaisir fugace. Cette savoureuse évocation pâtissière me fera l'effet d'une Madeleine de Proust, je le reverrai, lui, croquant le carré de chocolat noir mêlant la saveur corsée de la fève Bolivienne à l'amertume acide de l'orange. Il en dégustait un, tous les soirs, avec une infusion de mélisse et de verveine (il disait toronjil y verbena avec la sévillane sensualité de son accent). Je reverrai sa main fine, veinée de bleu, ses ongles soignés et le poignet de la chemise rayée. Alors me reviendra sa voix profonde et douce, presque un souffle et ce murmure clouera définitivement le bec à l'insolent silence. À ce point du rembobinage du fameux documentaire : " ma vie, mon oeuvre personne n'en saura
rien ", arrêt sur image, n'usons pas de la pellicule. Le soir reprendra ses droits et il commencera à faire frais. Je poserai un plaid sur mes jambes, le ciel s'enduira d'une couleur miel rosé. Duras le dit bien mieux : " Le jour baisse. La mer, le ciel, occupent l'espace. Au loin, la mer est déjà oxydée par la lumière obscure, de même que le ciel."
Je verrai alors s'approcher une silhouette, elle me semblera familière, massive, les épaules larges, le pas décidé, une force en marche. L'ombre se penchera sur moi, et je la laisserai m'emporter : " Maman, il se fait tard, il va falloir rentrer ! ".
Marie-Pierre Aguila, Viento ...©éditions de l'Ixcéa
Très très beau texte devant lequel je m'incline tout en me disant dans mon for intérieur: mais c'est tout moi...quelqu'un a écrit mon histoire..enfin celle que j'aurais aimé écrire...et à ce stade de ma réflexion..la tête bien prise dans mon turban ( dernier achat coup de coeur pour mucher ma calvitie récalcitrante)...je lève mon verre de bellini ( et bien oui) à la santé de cette jolie plume!!!
RépondreSupprimerCette pétillante vieille dame nous emporte avec son raffinement, son humour et sa sensualité dans une histoire pleine de tendresse et de mélancolie. Très jolie plume et très beau choix des photos de Catherine , encore un trio gagnant!
RépondreSupprimerTrès belle soirée.
Eh bien, vieillir ainsi, cela fait plutôt envie, non?
RépondreSupprimerAnne
What excellent photos, and how nice to see a little piece of the Lido. Now, to get the prose translated ...
RépondreSupprimerIl y a de cela très longtmeps, quand vieillir était encore du domaine de l'irréel, j'avais dit à une collègue de travail :
RépondreSupprimer"J'aimerais vieillir à Venise..."
Merci pour ce beau billet, Danielle, bisous.
Norma
Vivement l'arrivée du second
RépondreSupprimerC'est pour très bientôt
Bises
Danielle, grazie per il bel testo di Marie-Pierre Aguila e spero che ci sia un seguito. Grazie anche per le belle foto con i riflessi sull'acqua. Le trovo molto belle. Per le foto della spiaggia si vede bene che non doveva essere luglio od agosto e che la mancanza di gente ti ha permesso di dare un tocco di solitudine come nel film "Morte a Venezia". Buona domenica.
RépondreSupprimerQue bellas las fotos de los reflejos en el agua
RépondreSupprimerUn abrazo
Un jour vous remplissez des feuilles éparses, plus tard elles deviennent un livre...
RépondreSupprimerPuis quelqu'un franchit la porte et entre dans votre histoire.
Le fard vous monte un peu aux joues, vous, ainsi "déshabillée"! Dans le fond vous espérez ces visites.Le lecteur se promène dans l'appartement, ouvre un tiroir, pousse une chaise, entre-ouvre une armoire et déplace les porcelaines. Le lecteur a tous les droits.
Parfois le visiteur vous laisse un billet doux, posé sur une table basse. Vous en parcourez chaque ligne avec gourmandise, comme on se délecte du "craquèlement" d'un carré de chocolat, après huit jours de diète.
Le billet que vous avez l'honneur de me dédier me touche profondément. Posée sur le bord de vos photographies, ma petite histoire prend des allures de super production.
Pour tant de gentillesse, le mot merci est sans doute un peu court.
Aux visiteurs, qui ont le talent et le goût de vous suivre régulièrement, je tiens aussi à témoigner ma reconnaissance.
Merci chère Danielle, vous qui savez tant de Venise et qui chaque jour inventez, pour chacun d'entre nous, des promenades inoubliables.
"Les mots manquent aux émotions" disait Hugo, plus modestement je dirai: Y'a pas d'mots!!!!
Maia
Danielle, je lève aussi mon verre de Prosecco à cette jolie plume qui me manque déjà, mais il est plaisant de s'y replonger de temps en temps car chacune de ses chroniques peuvent se relire infiniment !
RépondreSupprimerBonne journée, très grise aujourd'hui ici !
bises
Marisol, Viento est un petit bonheur.
RépondreSupprimerChaque matin une petite dose de mots et ma journée était transformée. Puis ce fut la dernière chronique de la vieille dame... j'ai voulu la relire encore une fois.
bisous
Effectivement Anne, moi aussi j'aimerais que le temps qui passe, puisse encore nous offrir de doux moments si bien décrits par Marie-Pierre Aguila.
RépondreSupprimerBonne journée
Thanks Yvonne, I hope you can read the text because it's beautiful
RépondreSupprimerHave a good day
Danielle
Norma, j'aime ta façon de dire "dans le domaine de l'irréel"... c'est vrai, seulement autrefois, je ne pensais même pas vieillir, je ne me projetais pas dans le futur, est-ce là la jeunesse ? Puis le temps passe, les décennies, et j'ai toujours du mal à tourner la tête vers ce futur qui me rejoint. J'ai envie de lui dire arrête de cavaler si vite !
RépondreSupprimerBisous
Françoise, oui je l'attends avec impatience moi aussi !
RépondreSupprimerJe t'embrasse
Danielle
Elio, je suis ravie que le petit texte de Marie-Pierre Aguila vous plaise. Il faut lire les autres dans son "Viento".
RépondreSupprimerLes reflets sont splendides, toutes les couleurs de Burano.
La plage,où nous rechercons encore quelques réminiscences à tout jamais envolées...
Juanjo, merci des reflets aux couleurs de Burano...
RépondreSupprimerMaia, il y a tellement de vos mots au contraire qui me touchent infiniment et c'est moi qui vous remercie pour ceux qui complètent ce billet.
RépondreSupprimerC'est ma manière à moi de vous dire ce que je pense, en glissant entre les pages de Viento,un petit billet d'amitié.
Merci
Je vous embrasse
Danielle