dimanche 15 mai 2011

SIRE SURIÀN

©Catherine Hédouin

©Catherine Hédouin


La pointe acérée d'un cri perce la coque de son sommeil. Il perçoit une fente

lumineuse ténue au raz de ses paupières. Il la regarde de loin. Qui a osé le tirer du pays

de toujours ? Aucune odeur suspecte n'apparait aux alentours. Aucun bruit inconnu.

Les mouettes éraillent le ciel avec insistance. Il éteint les deux lignes et se rendort.

La ville sort peu à peu de la nuit. L'eau frémit d'éclats éphémères. Une barque chargée


de caisses de bouteilles découpe silencieusement la sombre fluidité du canal. Des odeurs

marines remontent à ses narines. Il ne bouge point. Le rythme pressé des talons d'une

femme pianotent un petit pont avant de s'éloigner. Des effluves de jasmin viennent

jusqu'à lui. " Encore une qui rentre en catimini chez elle ! " Il replonge avec délices dans

le pays de toujours.


©Marisol


©Marisol


Une gazelle traverse l'horizon, ses jambes interminables effleurent les volutes de sable,

ses grands cils scintillent, son petit l'attend. Il ne la quitte pas des yeux. La chaleur

danse autour d'elle en vapeurs légères, ses cornes effilées gravent l'espace, une ligne

noire court sur la blondeur de ses flancs. Il reste tapi dans les grandes herbes pour ne

pas l'effrayer. Son odeur lui pique la peau, ses muscles se tendent. Osera-t-il bondir ?


Les premiers rayons de soleil déposent leur miel sur les briques du palais Lion.

L'imposant escalier sort de l'ombre rayant la cour de la blancheur de ses arcades.

Sur la rambarde d'albâtre le petit lion de pierre se réveille. Il est encore pelotonné

de sommeil. Les pavés s'éclairent les uns après les autres jusqu'au puits qui s'empare

du décor pour en faire son théâtre. Il traverse le campiello de son pas feutré, le

restaurant commence déjà à s'affairer, des tâches importantes l'y attendent. Les arcades

enjambent la cour de leurs pattes de plus en plus grandes. Sur la plus haute, la belle

silhouette d'une jeune fille toute bouclée de brun se découpe sur le cadre élégant d'une

fenêtre venéto-gothique, elle se penche. " Mon beau Noil, tu es déjà là, viens donc me

rejoindre ! " Il lève les yeux, semble hésiter puis reprend sa marche hautaine. "Tant

pis pour toi, filou, tu le regrettras ! " La jeune Bianca descend de son pas leste le grand

escalier, mais son ami n'est plus là lorsqu'elle arrive en bas. Elle hausse les épaules et se

dirige vers le canal. Le campiello del Remer s'achève par une vue superbe sur le Canal

Grande. Bianca s'assoit au bord du petit ponton, au raz de l'eau et s'abandonne à la

contemplation. Des bateaux de plus en plus nombreux mêlent leurs sillages d'écume.

Ils se croisent en une chorégraphie aussi éphémère que savante. Des hommes debout

et fiers les conduisent, les yeux dans le lointain. Elle grave dans sa tête la silhouette

inconnue mais athlétique de l'un d'eux, de longs cheveux souples frémissent autour de

son profil avec lequel ils jouent à cache-cache. Sur le visage de Bianca, un sourire

émerge à son insu, le bateau rouge glisse longuement puis s'échappe dans un tournant.

Ses pensées s'accrochent en lambeaux autour de ses lèvres avant de s'effilocher dans la

brise légère. Devant elle la façade austère du tribunal se laisse caresser par la beauté

du matin. Plus loin, sur la gauche, le Rialto commence à ouvrir les yeux de ses boutiques.

Sur la droite la brillante Pescheria est courtisée de toutes parts par une flotille colorée.



Ses grands rideaux rouges retiennent encore le ballet que ses coulisses préparent.

De nombreux étals s'alignent à ses pieds faisant claquer leurs voiles protectrices devant

la face jaune vif d'une maison coincée entre deux palais. Bianca sent une présence

derrière elle. Sans vergogne, Noil se frotte à son dos. " Espèce de Don Juan de pacotille,

d'abord tu me snobes et maintenant te voilà tout caressant ! " Lui dit-elle, les yeux

froncés mais le sourire aux lèvres. " Allez, chenapan viens plutôt me raconter tes

frasques de cette nuit. J'ai entendu des cris et des soupirs sous mes fenêtres et j'ai

aussitôt pensé à toi. "


Il se contente de la regarder déployant tout le velours de ses yeux jaunes.



" Y a pas à dire tu sais te faire pardonner toi ! Viens là, tu l'auras ton câlin ! "



Tout autour d'eux la lumière poursuit son ascencion allumant un à un tous les reflets

de Venise. Les bruits de l'eau contre les murs rythment la pulsation de la ville et se

mêlent aux voix. A cette heure matinale, le Vénitien chante les premiers rôles. Noil

qui sait si bien lire les ondes musicales perçoit un bruit de casseroles éloquent, il se

détache de Bianca avec un dernier sourire. La jeune fille suit un moment sa démarche

sensuelle puis elle se relève à son tour. Elle doit prendre son service au restaurant

et elle met ses pas dans ceux de Noil. Une fois à l'intérieur elle se dirige vers les cuisines,

met son tablier et va rejoindre son père qui lit ses commandes sur son ordinateur

portable. La valse des livraisons bat bientôt son plein mais Noil lui, est déjà loin. (à suivre)





Marie-Sol Montes Soler

13 commentaires:

  1. Merci, Marie-Sol, pour cette nouvelle histoire qui débute dans la tendresse et la douceur. J'ai hâte de connaître la suite. Merci aussi à Catherine pour ses photos toujours superbes, et à Danielle qui publie le tout.
    Bonne semaine à toutes les trois!
    Anne

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  2. Une bien belle histoire de Marie-Sol et une mise en images de Danielle particulièrement réussie...
    Bravo aussi à Catherine !
    Bises.
    Norma
    Toujours aussi compliqué de poster un commentaire...

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  3. La créativité de ce poste avec l'art de Catherine, de Marisol, et de Danielle est merveilleux. J'adore Venise et je rêve de retourner à son mystère et à sa beauté un jour.

    Thank you for your visit to my blog and for your kind comments. I have joined yours to see and read more about this fascinating city.

    Bises,
    Genie

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  4. Beautiful post - I love reading your blog in French!
    Bises,
    Dianne

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  5. Anne, ravie que le début de cette nouvelle vous plaise, la suite est prête mais il vous faudra patienter quelques jours... Une petite histoire où je me suis sentie bien dès le début et que j'ai grand plaisir à partager aussitôt avec vous !
    Bonne semaine à vous
    Danielle

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  6. Norma, dur-dur en ce moment avec les posts, le plus dur c'est d'être connectée !
    Marisol m'a fait le plaisir de m'écrire une nouvelle histoire comme elle sait si bien le faire et j'en profite pour vous la faire découvrir, vous êtes tous(tes) ses premiers lecteurs(trices) !...
    bisous ma Belle
    Danielle

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  7. Bienvenue Genie et merci pour la visite.
    J'ai eu beaucoup de plaisir à me promener avec toi dans "ma" ville Paris et j'adore ton regard.
    Je souhaite que la Venise que j'offre ici, puisse continuer ton rêve et que tu puisses la retrouver très vite.
    bises
    Danielle

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  8. Quel charme, et quelle merveilleuses photos ! (on se sent à Venise...on s'y voit) Merci Danielle, calinous à tes petits zuriani à toi. (on dit Zurian en venitien non ?)
    Kissous

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  9. Bienvenue This is Belgium et merci à vous !

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  10. Thank you Dianne for your visit and "Bravo" to you to read the story in french !
    You're going to have the follow in some days...
    Kisses
    Danielle

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  11. Nath, je pense que nous pouvons utiliser bien des noms pour parler des chats de Venise : gato, soriano, suriàn et certainement Zuriàn,et micio(minou)...
    Je suis sentie toute de suite "bien" dans l'histoire de Marisol, les images ont défilé dans ma tête et devant les yeux, j'y étais !
    bisous à toi ma Belle

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  12. Catherine entre de nouveau en scène pour accompagner ces jolies lignes.
    On se laisse alors bercer par les mots et la douceur des photos
    Bonne journée

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