samedi 30 octobre 2010

REFLETS SUR LA PIAZZA

©Catherine Hédouin

©Catherine Hédouin


©Catherine Hédouin

Sur la Piazza, des garçons de café épongeaient les tables
vides et les posaient de biais contre les chaises.
La basilique commence à se doubler, sur le pavé, de
reflets liquides. Les plumes perdues par les pigeons,
qu'hier le vent léger poussait en petites vagues gris perle
au bord des Procuraties, collaient aujourd'hui partout au
pavé : le balayeur avait bien du mal à les en détacher, à
peine les touchait-il, elles s'enroulaient en petits grumeaux
visqueux. C'était l'aspect d'une grande salle qu'on nettoie
le lendemain d'une fête.
Liliana Magrini, Carnet vénitien

vendredi 29 octobre 2010

VENISE MYSTERIEUSE ET SECRETE

...C'est une heure délicieuse que celle où, au crépuscule, Venise s'allume. Elle prend un air de mystère et de secret...(Henri de Régnier, la vie vénitienne, 1928)



©Catherine Hédouin

©Catherine Hédouin
Le ciel est d'une obscurité aussi opaque que l'eau. Dans les rues, dès sept heures du soir,
les réverbères font de petites lueurs rondes qui ne répandent autour d'elles aucun reflet : d'une couleur chaude, et éparpillées à différentes hauteurs, ce sont, sur les rues vivantes, comme des petites lumières de crèche...(Liliana Magrini, Carnet vénitien)

jeudi 28 octobre 2010

OMBRES VENITIENNES

©Catherine Hédouin
Il regardait les murs à la façon d'un enfant. Parfois, il était au ras de Venise car c'est ainsi que les enfants découvrent le monde, parce qu'il leur faut toucher ce qui leur est trop grand et n'est qu'un jeu dont ils ne cherchent pas à comprendre les règles. Les ancêtres avaient laissé des traces durables élevées sur d'insoupçonnables ruines, et le rêve des "bâtisseurs d'impossible" -- apprivoiser l'immensité et l'inscrire dans l'espace d'un jardin --, il devait en recréer les origines depuis son propre regard.
"Ici, plus qu'ailleurs", les mêmes choses se disent à travers les mêmes silences, la lumière baigne et dissout les formes, les objets se fondent en une infinité liquide. Différences et répétitions procèdent par déplacements subtils de l'ombre, de la couleur, à travers un réseau d'analogies secrètes, d'odeurs, de sensations. Le champ du visible est un pays illimité : la pierre s'apprend par l'eau, l'arbre par son ombre, l'oiseau par le nuage... Venise ne se donne qu'en protégeant ses secrets, et l'étonnement du vivant n'y est jamais lassé.
Bernard Neau (Venise, Miroir des signes)

mercredi 27 octobre 2010

JEUX VENITIENS

©Catherine Hédouin
©Catherine Hédouin

La pluie à Venise est un délice.
Seuls les étrangers croient au soleil.
La pluie réveille l'odeur des pierres.
Jean Giono (1954)

lundi 25 octobre 2010

SEUL SUR LA PIAZZETTA ?

©Catherine Hédouin

...Vous souviendrez-vous de ces brouillards, les uns si roses, si pénétrés de soleil invisible, les autres si lourds en leurs cendres humides où disparaissaient palais et canaux et où Venise n'était plus qu'une étendue d vapeurs muettes ?
Henri de Régnier, l'Altana, d'un carnet, octobre-novembre 1907

dimanche 24 octobre 2010

VENISE COULEUR BRUME

©Catherine Hédouin

Haute marée sur la ville. Petit évènement ayant juste le caractère de surprise prévue, où l'étonnement léger, toujours agréable, va de pair avec la certitude tranquillisante que même dans ses petits écarts le monde ne quitte guère ses ornières, et qu'il n'est pas question que le miracle se produise. Cela seul peut expliquer l'air joyeux des gens dans un payasage, il faut bien l'avouer, fort morose, parmi ces eaux troubles qu'un vent flasque pousse en petites vagues molles sur le pavé de la Piazetta, et qu'embue la pluie. Les gondoles abandonnées entre eau et eau, penchées sur le côté, ont l'air d'épaves...
Liliana Magrini, Carnet vénitien.

jeudi 21 octobre 2010

DERNIER EPISODE :LA MAISON DES CINQ TÊTES

Malya ©Catherine Hédouin

Myrlio©Catherine Hédouin

Spiranza©Catherine Hédouin

Iwo©Catherine Hédouin

Veit©Catherine Hédouin

Casa delle Cinque Teste©VenetiaMicio



...Il y avait les blessés et ceux qui cherchaient les leurs. Ils se regardèrent et d'un commun accord ils se mirent à aider les gens autour d'eux. Myrlio s'occupa des blessés, sa mère lui avait appris à remettre en place un membre cassé et bien d'autres choses dont la connaissance lui fut fort utile. Même les petits garçons aidèrent de leur mieux. Ils prirent spontanément la main de cette femme qui cherchait partout son mari et ses enfants et firent avec elle bien des tours. De temps en temps elle s'arrêtait, les prenait dans ses bras, pleurait puis repartait. Spiranza se montra très courageuse et elle aida Myrlio à panser de nombreuses plaies. Il devint médecin ce jour là. La femme s'appelait Fedra elle finit par retrouver son mari, il était bloqué sous un tronc d'arbre. Les garçons allèrent chercher Myrlio tandis que Fedra pleurait et riait en même temps. Hasdrubal fut dégagé mais sa jambe brisée saignait. Il fallut toute la science du jeune homme pour remettre en place l'os, recoudre la plaie et apposer une attelle. Hasdrubal perdit connaissance pendant l'opération mais Spiranza et Fedra qui l'immobilisaient tinrent bon. Rassurée sur le sort de son homme Fedra reprit Iwo et Veit par la main et elle repartit à la recherche de ses enfants. Ce soir là tous sombrèrent de fatigue mais leur nuit fut peuplée de mers cauchemardesques. Fedra ne retrouva pas tous ses enfants, la mer lui prit une fille et un garçon et des deux qui lui restèrent l'une était blessée et l'autre traumatisée. Là aussi l'aide de Myrlio fut précieuse. Il allait souvent avec les garçons et la petite fille de Fedra chercher des herbes pour apaiser les douleurs des blessés et elle reprit peu à peu goût à la vie. Iwo et Veit y contribuèrent largement inventant pour elle mille facéties. Ils restèrent là de nombreux mois aidant ensuite à la reconstruction des maisons et des bateaux. Le temps passa, le village reprit vie, Myrlio et les siens y avaient désormais leur place.

La lagune finit par les appeler. Malgré la peur qui les tenaillait l'envie de repartir se fit plus pressante. Spiranza voulait savoir si des membres de sa famille étaient encore en vie. Elle n'avait plus peur d'affronter son ancien mari, Myrlio en les sauvant elle et ses enfants l'avait, selon une antique coutume, libérée de ses anciens serments. Myrlio voulait revoir le cairn de sa mère et cette lagune qu'il aimait tant. Leurs barques avaient été emportées avec les arbres qui les tenaient mais ils avaient retrouvé la corde de Malya. Myrlio construisit une autre embarcation et ils se préparèrent à partir. De nombreux villageois avaient tenu à les aider pour les remercier. Ils lui avaient même appris à ajouter une voile au bateau et Fedra la tissa elle-même avec l'aide de ses filles rescapées. Le jour du départ arriva. Tout le village était là, chacun avait tenu à apporter quelque chose à "leur médecin". Hasdrubal semblait porter le paquet le plus lourd "Voici pour toi, Myrlio, pour vous remercier toi et ta mère grâce à qui tu as traversé la mer". Il posa au sol son paquet enroulé dans une toile : la tête de sa mère le regardait avec bienveillance, ses beaux cheveux longs étaient superbement restitués par la pierre. Ses yeux s'emplirent de larmes et les deux hommes s'embrassèrent. "Je veux que tu reviennes chaque année nous voir, car chaque année une nouvelle tête t'attendra." Et c'est ainsi qu'Hasdrubal, le tailleur de pierres tint parole et sculpta la tête de tous les membres de la famille qui les avait aidés. Ces têtes suivirent Myrlio et Spiranza dans leur reconstruction de Torcello. Les filles d'Hasdrubal épousèrent Iwo et Veit renforçant les liens entre les deux familles. Myrlio transmit à Veit et à la fille qu'il eut avec Spiranza tout ce qu'il savait sur la médecine. Iwo et sa femme reprirent l'atelier de taille d'Hasdrubal. La vie avait repris ses droits comme l'avait souhaité Malya. Elle pouvait être fière de son fils et de ses descendants. De nombreux siècles s'écoulèrent aussi vite qu'un levée de semences. Trop de malheurs s'abattirent sur ces peuples de la lagune qui délaissèrent Torcello pour une île plus grande, plus saine et mieux protégée côté mer. Le cairn de Malya a disparu de toutes les mémoires mais pas son visage. Toi lecteur qui souhaite le voir il te suffit de te rendre à Venise à la fondamenta de le Sechere. Tu pourras même voir tous les membres de cette famille car génération après génération tous les aînés garçons ou filles se sont transmis ces cinq précieuses têtes, jusqu'à ce que la dernière représentante se voyant sans héritier les offre à la ville elle-même en les coulant dans la façade de sa maison. Alors songe en regardant cette maison et ses cinq têtes à Malya, Myrlio, Spiranza, Iwo et Veit qui comme tant d'autres ont écrit avec leur vie et leur courage la légende vénitienne.
Marie-Sol Montes Soler
(cette histoire écrite par mon amie Marie-Sol est sortie de son univers imaginaire et merveilleux à partir de ma photo des cinq têtes...)

mercredi 20 octobre 2010

EPISODE N°5 : LE CHAOS



©Catherine Hédouin



...Elle sortait des tréfonds de l'horizon et sa taille augmentait au fur et à mesure qu'elle approchait. Elle se déplaçait sur l'eau dans une attitude guerrière qu'il ne lui connaissait pas. Son avancée était aussi inexorable que sa croissance. Elle fut bientôt aussi immense que le monde. Soudain elle leva ses bras gigantesques et la mer entière se retira. Un silence pesant se posa sur la plage nue. Elle était là, titanesque, obstruant tout l'horizon, ses longs cheveux tournoyaient autour de son visage grimaçant. Il ne vit pas dans le lointain une longue barre d'écume. Il était tétanisé par les cheveux de sa mère devenus peu à peu vivants. Ils se tordaient, se dressaient, s'enroulaient tels un nid de serpents. Soudain il la vit. Une vague gigantesque galopait dans le lointain. Elle arrivait à une vitesse folle. Elle fut soudain là dressant ses griffes d'écume et sa voûte bleue colossale au dessus de sa mère. Elle resta quelques instants en suspens préparant son assaut. Il ne pouvait fuir il était pétrifié. Soudain sa mère l'appela, elle redevint aussitôt minuscule et la vague se mit à tomber sur elle dans un fracas d'épouvante. Il se réveilla en sursaut le corps en sueur, l'âme chavirée. Devait-il prendre au sérieux ce rêve, il l'ignorait. Il se mit à scruter la mer guettant le moindre signe. Il fit part de ses craintes à quelques unes des personnes qu'il connaissait, toutes lui rirent au nez, jamais une aussi grosse vague n'avait été vue de mémoire d'homme. Il savait pourtant que les messages de sa mère étaient lourds de sens. Il essaya de rencontrer Spiranza mais il constata qu'elle le fuyait, ses deux garçons ne la quittaient plus. Il commença à construire un nouveau bateau plus grand que le sien. Il y travailla jour et nuit dans une frénésie qu'il ne contrôlait plus. Un mois plus tard il refit le même rêve mais dans celui-ci sa mère n'était plus seule sous la vague, Spiranza et ses fils se tenaient à ses côtés. Cette fois-ci il ne pouvait plus douter il alla voir le mari de Spiranza et lui parla de son rêve, celui-ci ne le crut pas comme les autres habitants de l'île. Il n'insista pas car sa position d'étranger était trop précaire. Il profita de l'absence du mari pour aller voir Spiranza. Elle ne voulait pas le suivre mais il lui montra la mer et ses enfants alors elle accepta. Il se promenèrent les pieds dans l'eau, les petits garçons couraient devant eux. Ils restèrent longtemps sans rien se dire. La journée était lumineuse, des mouettes tenaient de grandes assemblées sur la plage. Des retardataires tentaient de les rejoindre de leurs petits pas pressés. Les garçons s'en approchaient en riant et soudain, dans un bruissement d'ailes, toute la colonie s'éparpillait comme des pétales dans le vent. Ils sentaient émaner de leurs corps une joie réciproque. Marcher simplement l'un à côté de l'autre rassasiait une soif dont ils découvraient l'évidence. Elle déroulait son corps dans la marche avec légèreté et souplesse. Son port de tête était magnifique et ses chevilles et ses poignets fins et racés. Quand elle tournait la tête vers lui l'envie de l'embrasser le tenaillait. Elle le regardait avec la même gourmandise, oubliant tout hormis cet instant. Il lui montra le petit pot. Elle fut stupéfaite et troublée. Elle tournait interminablement entre ses mains le petit pot passant d'un visage à l'autre. Elle touchait ses nattes d'un geste réflexe comme pour se rassurer. Il prit cette main inquiète entre les siennes. Ce premier contact leur fit l'effet d'une décharge. Ils reculèrent. Leur désir flottait autour d'eux les rapprochant inexorablement. Il embrassa sa main avec une douceur infinie, elle l'attira à elle et leurs lèvres se joignirent. L'univers autour d'eux se mit à chavirer. Lorsqu'ils ouvrirent les yeux ils n'étaient plus les mêmes. "Nous devons partir". Elle acquiesça. Tout devenait très clair. Ils devaient préparer leur départ. Se lâcher la main leur sembla presque impossible. Ce fut comme un arrachement. Leurs peaux ne voulaient plus se quitter. Il la repoussa gentiment. Elle sourit. Ils partirent chacun de leur côté. Leurs balluchons respectifs furent rapidement prêts. Veit et Iwo n'y virent qu'un jeu excitant. La nouvelle barque attendait. Ils embarquèrent leurs maigres affaires dans l'ancienne barque, l'attachèrent à la nouvelle et partirent aussitôt. Leurs visages irradiaient de joie. Les deux moitiés de la légende s'étaient retrouvées. Ils se cherchaient du regard et de la peau. Il rama avec énergie le danger pouvait intervenir à tout moment. Il partit vers la terre ferme, il espérait ne pas avoir trop attendu. Le temps s'écoula avec lenteur. Ils étaient partagés entre la joie d'être ensemble et la crainte de l'énorme vague. Les petits Iwo et Veit dont c'était le premier vrai voyage se réjouissaient d'un rien. Ils firent une brève halte sur l'île de sa mère. Le cairn était intact. Des fleurs de coquelicots y avaient déployé leurs corolles froissées. Il repartit, ce signe de vie lorsqu'il était sur une tombe devenait un présage de mort proche. Spiranza se mit à ramer avec lui, ils devaient faire vite. Ils n'écoutaient pas leur fatigue et se relayaient lorsque leurs muscles devenaient trop douloureux. Ils réalisèrent soudain que plus un seul oiseau ne volait au-dessus d'eux. La mer semblait s'être vidée de tous ses habitants. Ils reprirent leurs efforts. Ils sentirent des mouvements inhabituels sous l'eau comme des secousses venant des profondeurs. "La terre !" crièrent les enfants. Cela déculpla leurs forces. Ils accostèrent enfin. Les deux barques furent tirées le plus loin possible de la plage puis solidement amarrées avec la corde de la mère. Ils prirent leurs baluchons, chacun un enfant par la main et ils se dirigèrent vers la colline la plus proche. Ils criaient aux rares personnes qu'ils rencontraient de fuir avec eux mais personne ne les écoutait. Alors ils se concentrèrent sur leur avancée. Ils commençaient à grimper lorsqu'ils sentirent une secousse. Loin sur l'île de Torcello des pêcheurs qui amarraient leurs barques virent la mer s'en aller d'un coup. D'autres sur la lagune furent entraînés au loin par une mer qui se retirait sans crier gare. Ils étaient à l'abri lorsque la gigantesque vague du cauchemar ravagea tout sur son passage. Ils étaient tous les quatre serrés les uns contre les autres dans un petit abri. Dans la lagune un enfer d'eau se déchaînait contre tous les êtres vivants, tuant et brisant de sa main de fer tout ce qu'elle rencontrait. La terre montrait ses pouvoirs. Chaque être lutta pour sa survie animé par sa lumière intérieure. Mais ce jour là beaucoup de lumières s'éteignirent. Un grand silence s'ensuivit. La rage de l'eau enfin se tut. Nombre d'îlots n'existaient plus. Le chaos régnait sur la lagune, la douleur et les larmes brassaient tous les êtres. Ils passèrent la nuit là-haut par crainte d'une nouvelle vague. Ils n'eurent pas faim ce soir-là. Les petits tremblaient encore de terreur. Le lendemain ils attendirent l'après-midi pour redescendre. Le désastre leur apparut dans toute son horreur. Arbres, maisons, bateaux rien n'avait resisté. Tout avait été éventré par la hargne de l'eau et gisait pêle-mêle dans un chaos déchirant. De nombreux appels retentissaient un peu partout...(à suivre)

Marie-Sol Montès Soler
La maison des cinq têtes

mardi 19 octobre 2010

EPISODE N° 4 : SPIRANZA

Torcello
©1998, Abeville Press New York
photographies Sonja Bullary et Angelo Lomeo
de pierre et d'eau Venise et Vénétie
©archives VenetiaMicio

...Ses larmes d'enfant fusèrent et son corps reprenant vie se précipita. Sa mère était là, assise devant sa porte, la tête dans les étoiles. Mais le ciel était vide d'étoiles et le corps de sa mère vide de vie. Il resta longtemps prostré, la tête dans les genoux de sa mère. Le froid et la dureté qui étaient désormais en elle s'insinuèrent en lui. Il se releva. Il porta le corps sans vie de sa mère, ce corps qui déjà s'éloignait. Il la mena au coeur du labyrinthe. Il la posa avec beaucoup de délicatesse, l'embrassa une dernière fois et sortit du lieu sacré. Il s'assit là où elle se tenait et il attendit. Les heures du jour s'égrenèrent une à une, il revit son enfance jour après jour. Il vit sa mère, son corps de géante contre lequel il aimait se blottir enfant, son rire, son chant, ses merveilleuses mains qui l'avaient protégé, émerveillé. La nuit se posa sur lui feuille à feuille. Une lune en majesté prit possession du ciel. Il se redressa, il était prêt. La lune déposa un linceul de lumière sur sa mère. Alors d'un commun accord toutes les pièces de poteries entrèrent en mouvement et dans un ballet de cascade cristalline et dorée elles recouvrirent entièrement le corps. Des éclats de lumière jaillirent toute la nuit du cairn. Au matin tout était achevé. Un petit pot était posé au pied, il le prit. C'était un ouvrage d'une rare beauté, le visage de sa mère avec sa longue chevelure noire y était peint et de l'autre côté celui d'une jeune femme très belle avec des tresses dorées. Il regarda longuement les deux visages jusqu'à en imprégner sa peau puis il l'enveloppa délicatement dans un des tissus faits par sa mère et le glissa dans son balluchon. Il partit aussitôt. Tout était prêt. Avant son arrivée, quelques poissons séchés, du sel, du pain l'avaient attendu sur la table ainsi que quelques vêtements et une belle corde : sa mère avait tout préparé. Il ne reviendrait qu'avec la jeune inconnue.

Il se dirigea vers l'île du trône, elle était forcément liée à sa mère. Le paysage avait bien changé. De nombreuses maisons entouraient la basilique. Il s'approcha. La place s'ornait en son centre d'un puits. Une jeune femme y plongeait le seau de bois pour remplir sa jarre. Elle lui tournait le dos mais il reconnut dans un frisson ses longues nattes. Il s'approcha le coeur battant, les jambes raides. Le soleil jouait avec ses boucles blondes. Elle était à portée de main, il sentit la douce odeur de sa peau. Elle se retourna brusquement et il reçut en plein visage l'éclat de ses yeux noirs. Un ravissant bandeau orné d'un coquillage bleu retenait l'ampleur de ses cheveux. Ses sourcils se froncèrent et elle lui tourna le dos. Elle finit sa corvée ignorant sa présence. La jarre pleine elle s'en alla laissant derrière elle un chemin de gouttes et des effluves dont il ne pouvait plus se détacher. Il la suivit de loin. Elle s'enfonça dans les bois tout proches et se dirigea vers une maison basse, assoupie non loin des bords de la lagune. Un filet étendait ses longues mailles entre des branches, une barque était tirée hors de l'eau. Quelques volailles picoraient les alentours. Deux jeunes enfants jouaient aux osselets devant la maison. Ils accoururent à l'approche de la jeune fille et se mirent à lui parler gaiement, il ne comprit pas leur langage. La voix d'un homme appela de l'intérieur. Le coeur de Myrlio se serra, elle n'était pas libre. Il s'éloigna, sa mère ne pouvait s'être trompée ! Il retourna au bord de l'eau, sortit un poisson et du pain et commença à manger les yeux perdus dans le bleu de la lagune. L'image de la jeune femme dansait en surimpression sur le miroir de l'eau. Son repas achevé il sortit la petite poterie de son doux emballage. Toucher ce tissu lui rappela sa mère et un voile de douleur passa dans ses yeux. Il retrouva son visage peint. Une douceur inattendue l'envahit. Sa mère lui transmettait sa force. Il demeura là longtemps se laissant bercer par l'eau et le ciel, ses pensées plongeant dans ses souvenirs heureux. Le soleil vigoureux le sortit de sa torpeur, il entra dans la mer pour se rafraîchir. L'eau glissait sur ses muscles avec volupté et lui rendait sa force. Les mouvements de sa nage éveillaient son corps à la vie. Il venait de comprendre le message de sa mère, il devait aller de l'avant. Il nagea loin calmant son chagrin. Il songea soudain au petit pot et revint vers la berge. Il s'y retrouva exténué mais apaisé. Son baluchon était là, un enfant fouillait dedans. Il se précipita et récupéra son bien violemment. "Spiranza, Spiranza" hurlait l'enfant. Myrlo ne comprit pas ses paroles. Sa propre colère tomba devant la terreur du petit garçon. Il essaya de le calmer mais l'enfant s'enfuit en répétant le même mot. Myrlio regarda le visage de sa mère, il crut la voir sourire. Dans les jours qui suivirent Myrlio fut très occupé. Il s'était fait connaître auprès des autorités et avait manifesté le désir de s'installer sur l'île. On lui avait indiqué un terrain en bordure d'eau, infesté de moustiques mais qui lui plaisait par son isolement. Il abattit quelques arbres pour se fabriquer une cabane. En attendant il dormait dans un vague abri de branches et pêchait pour se nourrir. Deux petits garçons vinrent régulièrement l'observer. Très absorbé par sa tâche il ne les remarqua pas les premiers jours. Leur manège finit par éveiller sa curiosité, mais dès qu'il faisait mine de s'approcher, ils s'enfuyaient. Il eut l'idée de se regarder dans le reflet d'une mare et il découvrit à quel point son visage était hirsute. Il coupa ses cheveux et sa barbe trop longs et dès le lendemain les enfants s'enhardirent. Il s'habitua à la musique de leur langue et finit par reconnaître certains sons. Les enfants eux aussi s'habituèrent à lui et peu à peu il les apprivoisa. Il apprit même leur nom : Iwo et Veit. Un jour ils vinrent accompagnés. Il faillit tomber du toit où il fixait les derniers ajoncs. La jeune femme éclata de rire. Il s'empressa de descendre mais glissa piteusement, la petite troupe s'esclaffa de plus belle. Quand il les rejoignit Veit le plus jeune des garçons se mit à courir autour de lui en répétant "Spiranza". Leur conversation fut très limitée mais ils repartirent tenant chacun dans ses mains des poissons séchés enroulés dans des feuilles, selon la recette de sa mère. Cette nuit là ne fut interrompue par aucun cauchemar, le visage de Spiranza avait chassé les ténèbres. Il s'éveilla le lendemain avec le soleil et son premier souci fut sa toilette. Il récupéra une grande quantité de poissons et partit les vendre au marché. Il fut surpris par les sourires qui fleurissaient sur son passage. Ils avaient vécu si longtemps en reclus lui et sa mère qu'il avait oublié la chaleur des contacts humains. Il laissa s'épanouir sa joie et ses poissons très bien préparés se vendirent bien. Il recommença les jours qui suivirent avec le même succès. Il y retrouva un jour Spiranza au bras d'un homme. Leurs yeux respectifs s'emplirent de brume. Chacun d'eux détourna son regard, sous l'oeil interrogatif de l'homme. Il rentra chez lui fort désappointé, ignorant toutes les marques de sympathie qui jalonnaient son passage. Il poursuivit son projet et se rendit chez un tailleur pour acheter de nouveaux vêtements. La chose était un brin ridicule, mais enfin... Il poursuivit ses ventes au marché avec le même succès. Il commençait à mieux comprendre cette langue et ces gens. Il s'habillait comme eux et il espérait faire partie de leur monde. Il aimait bien le nom qu'ils avaient donné à leur île : Torcello. Mais les occasions de voir Spiranza étaient rares, il ne pouvait aller contre les usages de ces lieux, même Iwo et Veit venaient de moins en moins, leur père devait le leur avoir défendu. Il finit par se demander s'il ne devait pas partir, pour la première fois de sa vie sa mère s'était trompée, cette jeune femme n'était pas pour lui. Il n'arrivait pourtant pas à se résigner, il sentait en lui une attirance impossible à éteindre. Il ignorait si elle était partagée. Trop de fois il l'avait vue l'éviter. Un soir sa mère lui apparut en rêve....(à suivre)
Marie-Sol Montes Soler
La maison des cinq têtes




lundi 18 octobre 2010

EPISODE N°3 : LE TRÔNE DE PIERRE

Santa Maria Assunta ©Jean Mounicq
photographies extraites de Venise d'eau et de pierre
©Imprimerie nationale Editions Paris 1998


dietro Santa Maria Assunta©Jean Mounicq


....Il se tapit contre le sol et attendit. Les voix d'une beauté inhumaine ricochaient contre les nuages et pleuvaient en grappes célestes. Il laissa ses yeux s'accoutumer à la noirceur environnante. Il lutta mentalement mais rien n'y fit les notes une à une le prirent dans leurs filets. Il se redressa et oubliant toute prudence il suivit l'appel. Son corps délié s'auréolait de perles de joie. De grands arbres alignés tels des soldats portaient haut et droit leurs lances ramures jointes en une voûte grandiose. Il se glissa dans cette allée majestueuse, le coeur battant. Au bout de l'allée, dans le tournant, une lumière saisit à pleins doigts les troncs. Il s'approcha avec appréhension mais la musique était plus forte que sa peur. Sous ses pieds des dalles alignaient avec rigueur leur rondeur. Ses pas inexorablement le conduisaient vers l'antre secret de l'allée. Il y parvint. Il comprit d'où venait la lumière. Il comprit d'où venaient les chants. Tout au bout un grand feu jetait sur un mur de pierres les ombres démesurées des chanteurs. Ils se dressaient tous derrière un trône de pierre vide. Il ne put s'empêcher d'avancer. Les voix tissaient une trame dans laquelle tous ses désirs s'enlisaient. Il avançait. Les grandes capes multicolores des chanteurs se mirent à virevolter. La main impérieuse d'un vent soudain le poussa plus en avant. Il regarda derrière lui, l'allée se refermait après son passage. Impossible de lutter, ses jambes ne lui obéissaient plus. Le trône passait d'un rouge sang à un pourpre incandescent. Il avançait. Les voix partirent brusquement dans des aigus à briser les tympans. La fumée se mit à tournoyer et ses volutes l'enlacèrent. Il ne voyait plus la scène qu'à travers un voile piquant aux arômes d'encens. Sa tête était dans un étau, son corps absent. Quelqu'un jeta une poignée de poudre sombre dans le feu. Une fumée âcre et épaisse entoura la scène, la pression se fit plus forte dans son dos. Devant lui les silhouettes se déformèrent et l'une après l'autre elles se mirent à chevaucher la fumée. Soudain elles furent sur lui et elles l'entraînèrent. Elles l'assirent dans le trône, les sons stridents cessèrent aussitôt. Le silence qui suivit évacua les fumées et apaisa son coeur. Les capuchons tombèrent. Un flot de chevelures s'en échappa. Il y avait autant de nuances que de couleurs de vêtements. Il était subjugué et ses yeux allaient d'une tête aussi brune qu'un corbeau à une châtaigne mûre puis d'un blé fané à un écureuil flamboyant, et enfin d'un gris profond jusqu'au blanc transparent mais toutes avaient les yeux emplis de larmes et toutes des sourires plein le visage. Il n'y comprenait rien. Alors elles reprirent un chant et son pouls s'accéléra lorsqu'il reconnut une des chansons de sa mère. Une lumière traversa son esprit, le clan de sa mère, il avait devant lui le clan de sa mère. Il resta là à les écouter et le temps cessa de s'écouler. Des images défilèrent dans sa tête, un feu venait d'embraser l'horizon, des cris et des bruits métalliques. D'autres cris, des rames nombreuses, des barques alourdies. Les pas hésitants des femmes et des enfants. Des arbres abattus qui tombent dans le fracas de leur douleur. Le village qui monte ses protections, le quotidien qui s'installe. Le mur derrière lui fut suivi d'autres murs, des hommes transportaient des pierres, d'autres les taillaient, d'autres les assemblaient, d'autres montaient d'incroyables échafaudages. Tous ces gens avaient envahi l'île et ils dressaient maintenant leurs édifices sacrés. Les chants perdaient de leurs forces. Il avait joint sa voix puissante aux leurs mais rien n'y faisait, les chants déclinaient. Un jour il ouvrit ses yeux sur le silence, il était seul, la pierre de son trône était érodée, derrière lui la masse puissante d'une église le défiait. Il se leva, la pierre craqua de douleur. Il toucha les murs et se brûla. Il poussa les deux battants avec force, ses mains restèrent gravées dans le bois. Il entra. La hauteur du plafond le submergea. Tout au fond l'arrondi d'une alcôve dressait dans sa conque une femme majestueuse. Elle était auréolée d'or et portait à son bras un enfant. Ce fut comme si une flèche le traversait, il venait de reconnaître sa mère.
Lorsqu'il reprit ses esprits il aperçut tout en bas, lovés sous la conque, des gradins de pierre. Des hommes vêtus de longues chasubles couleur terre s'y tenaient. Un long psaume les habitait. Leurs voix graves se déployaient dans l'immensité des voûtes et voguaient de pierre en pierre. Les chants étaient fort beaux mais ce n'étaient pas les siens, il sortit. Il devait retrouver sa mère, il devait retrouver sa vie. Il ne reconnaissait pas le paysage inondé de clarté. Il ne vit pas le trône noyé dans un rayonnement blanc. Ses pieds nus le guidèrent mieux que ses yeux soudain aveugles. Il retrouva sa barque, il s'éloigna rapidement de cette île et de ses maléfices. Il jeta toutes ses forces dans les rames. Il se retrouva enfin seul entre ciel et mer et là, il poussa son cri. Sa rage, son désespoir, sa solitude montèrent jusqu'aux cieux et retombèrent en gouttelettes incandescentes. Vidé de toute sa vitalité il écouta longtemps l'eau crépiter autour de lui. Enfin apaisé il retourna vers la demeure de sa mère. Lorsqu'il accosta dans son île un frisson le saisit à la gorge. Il courut de toutes ses forces. Son coeur se durcissait. Leur demeure se tenait sur un petit promontoire, sa mère lui disait qu'elle s'y sentait plus près des bouches des étoiles. Il haletait mais une vague froide tombait de plus en plus lourde sur lui. Ses pieds soulevaient des plaques de boue de plus en plus pesantes. Tout son corps tentait de retarder son arrivée. Il serra les dents et continua d'avancer coûte que coûte. Il rencontra la première grande poterie du labyrinthe de sa mère, elle était fendue en deux, il ne put retenir un cri et à nouveau, il essaya d'accélérer. A nouveau son corps s'obstina. Il se faufila entre les différents pots, pas un n'était intact. Ils avaient tous des impacts d'épées comme si toute une armée s'était battue contre eux. Ils étaient éventrés, tordus, lacérés. Plus il avançait plus les marques augmentaient. Les derniers, brisés en petis morceaux, tenaient comme par magie leurs pièces en suspension autour du vide modelé des pots. Il accepta enfin de ralentir. Il sentit le poids du silence. Il sentit la fragilité du monde qu'il traversait. Il sentit une douleur le pénétrer tout en douceur. Il ralentissait de plus en plus. Il sentait la décomposition de sa marche, phalange par phalange. Il sentait l'immensité de son corps. Ses rivières, ses gouffres, ses planètes s'ouvraient à lui. Plongé dans la terre façonnée par sa mère, dans ces milliers d'éclats retenus par son seul amour, il vivait sa renaissance. La marche fut longue, très longue. La vérité de ce lieu lui était révélée. De ce lieu que, brassée de terre après brassée de terre, sa mère avait élévé pour lui. Au dernier détour son coeur avait tout compris...(à suivre)
Marie-Sol Montes Soler
La maison des cinq têtes

dimanche 17 octobre 2010

BON DIMANCHE

...Un ciel frais lavé par l'orage et poli par un vent jeune et vif. Chaque brisure se festonne de soleil. La ville paraît prête à accueillir toute occasion de joie. Toute étincelle : la lagune crispée, les feuillages dansants, les vitres. [Liliana Magrini- Carnet Vénitien]
©2010 Cleia

Je vous fais partager ce moment, Claudie vient de me donner quelques nouvelles et m'a offert cette jolie vue de notre chère Venise. Bon dimanche à vous tous !

http://cleia.darqroom.fr

vendredi 15 octobre 2010

EPISODE N° 2 : DANS LA LAGUNE...

©Catherine Hédouin
©Catherine Hédouin

©Catherine Hédouin

©Catherine Hédouin

©Catherine Hédouin


...Il fut le premier à s'élancer et sa beauté éclaboussa toute l'assemblée. Toutes les femmes quelque fut leur âge en furent éblouies mais plus incroyable encore, tous les hommes aussi. Les yeux de tous joints en un seul regard suivirent ce jeune homme à moitié nu, aussi beau qu'un dieu, traversant d'un seul bond les branches en feu. Des brindilles incandescentes volaient autour de sa longue chevelure noire accentuant la finesse de ses traits. Ses muscles longs et pleins galbaient son corps d'un équilibre parfait. Un silence inépuisable durcit en un seul bloc toute l'assemblée, ses camarades saisis eux aussi par son apparence restèrent là, immobiles, à le regarder. Lui était ailleurs, dans le plaisir de ses sauts, il ne se rendit compte de rien car il était porté par un élan vital. Il franchissait des flammes toujours plus hautes qui léchaient dangereusement sa peau luisante. Ce fut sa mère qui rompit le charme. Elle s'adressa haut et fort au chef du village et levant vers le ciel les coupes pleines de vin elle les lui tendit. Tous sortirent soudain de leur torpeur et allèrent vers elle. Myrlio lui aussi reprit enfin contact avec la réalité, sur un coup d'oeil de sa mère, il s'éloigna. Ils partirent dès ce soir là alors que la fête battait son plein. Sa beauté ainsi mise à jour devant tous n'allait pas tarder à devenir un sujet de discorde, ils devaient s'éloigner.

Ils s'étaient réfugiés dans cette lagune, loin de toute autre habitation. Myrlio très vite l'avait apprivoisée pêchant avec dextérité ses poissons. Il savait dénicher des nids flottants et récupérer leurs oeufs délicieux, il savait d'une flèche insaisissable happer en plein vol les oiseaux les plus rapides. Il n'oubliait jamais d'en remercier la Déesse de la lagune et veillait à ne tuer que pour calmer leur faim. Il l'aimait cette lagune si paisible et restait souvent allongé sur sa barque, les yeux perdus dans l'immensité sans fond du ciel avec le clapotis de l'eau pour compagnon. Dans ces moments là, mer et ciel mêlaient leurs larmes et leurs rires dans une même couleur. Sa mère lui avait appris à reconnaître les plantes les plus goûteuses et celles qui apaisent mais aussi celles qui blessent ou tuent. Elle tissait des herbes aussi fines que la peau pour leurs vêtements et façonnait des pots de toutes tailles pour leurs divers besoins. Mais ce qu'il aimait le plus c'était la voir dresser, de colombin en colombin, des jarres énormes qu'elle faisait sécher devant leur cabane. Elle les enfouissait dans un grand feu où la glaise devenait pierre qui chante. Elle les alignait devant leur cabane en un ordre complexe dont elle ne voulait pas lui révéler le secret. Les jours avaient déroulé sans heurts le fil du bonheur, jusqu'à ce soir là.

La lumière insistait mais il ne parvenait pas à l'identifier. Quelque chose en lui s'éveillait. Un espace nouveau fleurissait dans son abdomen et sa respiration s'envolait. Son pouls s'accélérait. Ce n'était pas de la peur car une joie sourde s'y mêlait. Un des nuages écorcha ses ramures dans une corne de lune et un flot de lumière rousse se posa sur une île. Un feu s'y consumait. Cette éclaircie fut de courte durée mais cela lui suffit pour garder le cap. Il accosta enfin sur cette île inconnue. Il tira sa barque sur la berge et se glissa dans l'épaisseur de la nuit. Il avançait à tâtons toute sa peau déployée. Sous ses pieds une herbe douce remplaça la vase. Les langues du feu crépitaient entre les arbres. Il devinait leur danse étrange et il serra fermement son arc entre ses doigts moites. Des chants surgis du coeur de l'île s'infiltrèrent soudain par tous ses pores. Il n'avait jamais rien entendu de si doux et de si iréel. Il frissonna, venait-il d'entrer dans le domaine des dieux ?....
(à suivre)
Marie-Sol Montes Soler

mercredi 13 octobre 2010

EPISODE N° 1 : LA LUNE ROUSSE

©Catherine Hédouin
©Catherine Hédouin

Un soir de lune rousse et cotonneuse il se perdit dans la lagune. Le soleil couchant avait embrasé l'horizon badigeonnant à plein bras l'or et la pourpre, le vermeil et le rubis. Les yeux éblouis par tant de magnificence il s'était arrêté de pêcher et le temps coula au fond de l'eau. Des lambeaux d'obscurité tendirent le ciel de leurs sombres présages. Le miroir de l'eau s'épaissit. Il tenta d'écouter tous les bruits des alentours mais rien ne vint éclairer ses pensées. Il rama à l'aveuglette confiant sa vie au destin. Le voyage fut long. Il rama des heures durant hors de portée de la moindre terre. Il connaissait pourtant bien sa lagune et la peur lui tenaillait le ventre. Tout cela n'avait rien de naturel ! L'eau à perte de vue mêlait les sombres vapeurs du ciel à celles de la mer. Des dents pointues sortaient parfois d'îlots en loques et rayaient de noir l'obscurité. Une seule lueur pointait son museau inquiétant tout là haut. Il refusait de lever les yeux vers elle mais la maligne le saisit plus d'une fois par surprise dans l'écume de sa rame. Il pensa très fort à sa mère, elle devait l'attendre, elle aussi devait avoir peur. La brume coulait en gouttes acérées sur sa nuque raidie par l'effort. Il se mit à chanter, chaque fois qu'il avait eu peur il avait chanté. Sa voix claire et grave l'enveloppa de douceur. C'était sa mère qui lui avait transmis les chansons contre la peur. Dans sa lignée les femmes se les passaient de mère en fille. Malya n'avait pas eu de fille et isolée très tôt de sa famille par son mari elle n'avait eu auprès d'elle que son fils de son sang. Alors elle avait transgressé toutes les règles. Après la mort prématurée de son mari elle avait transmis à son fils unique tout son savoir de haut lignage et notamment ces chansons contre la peur.

La brume s'obstina dans son obscurité mais les sens de Myrlio décuplèrent et il sentit sous sa rame une eau plus légère. Il aperçut bientôt une pépite de clarté dans le lointain. Retrouvant sa vigueur il se dirigea vers elle. Les bruits habituels remontèrent un à un jusqu'à ses oreilles. Il retrouvait ses sensations et ses repères. Mais il n'était pas au bout de ses peines. Loin de l'autre côté de l'eau, sa mère avait entamé ses incantations. Elle savait où il allait. En enfreignant les règles des anciens elle avait éveillé leur colère. Leurs yeux séculaires ne pouvaient entrer dans les nimbes de l'enfance mais lui déjà en sortait. Jamais aucun homme n'avait eu sa beauté. Elle avait tout fait pour la dissimuler aux yeux de tous. Aucun garçon ne fut aussi mal vêtu, lavé et coiffé par une mère pourtant attentive et aimante. Mais son stratagème perdait de son effet au fur et à mesure que devenant un homme il s'éloignait de sa zone d'influence. Le jour du solstice d'été devait consacrer tous les garçons de quatorze ans en âge du feu. Les danses des moissons réunissaient tout le village en joyeuses farandoles autour du brasier. Les jeunes gens de l'année précédente avaient par malice entassé trop de fagots pour ridiculiser leurs futurs rivaux. Mais sans le savoir Myrlio leur réservait une incroyable surprise....
(à suivre)
extrait de la nouvelle "la maison des cinq têtes" ©de Marie-Sol Montes Soler-
Avignon le 11.10.2010

mardi 12 octobre 2010

LA PORTE D'EAU

©VenetiaMicio

©VenetiaMicio


J'aime ces fins de journées, où fatiguée par une longue promenade, je flâne encore le long d'un rio, sans but, ne voulant pas interrompre ces instants de charme. C'est le moment où je prends le temps, je m'arrête pour regarder les barques colorées, mais surtout les murs et les vieilles portes. Venise est une ville à part qui demande à être contemplée, c'est le royaume du piéton tranquille, c'est la ville qui s'adresse à nos cinq sens, perpétuellement aux aguets.
Remarquez comme chaque détail a son importance, vous pouvez passer au même endroit et le découvrir différent, un autre jour, selon la lumière.
Sans cesse en éveil, le nez en l'air, le regard affûté, vous saisisserez une nouvelle image d'elle, elle sera là au rendez-vous.
Ce jour-là, la porte d'eau s'est dévoilée, un reflet dans l'eau du rio ou tout simplement un rayon de soleil qui flirtait avec les mauvaises herbes lovées au creux de ses vieilles briques.
J'aime ses fins de journées où Venise me procure encore toutes ces émotions renouvelées.

lundi 11 octobre 2010

VENISE D'AUTOMNE

©archives VenetiaMicio
©archives VenetiaMicio ©archives VenetiaMicio


...Sous ce ciel d'octobre tout bleu et or, poli par un petit vent plus que frais, Venise me semble plus étincelante que jamais aucune ville. Je ne sais à quoi cela tient : la grande partie, bien sûr, au miroitement que seule peut avoir une eau calme dont la surface se brise et se crispe en innombrables facettes, et dont le jeu se prolonge sur les murs en petites vagues d'ombre et lumière ; un papier jeté : les voilà qui tressaillent, bondissent. Mais ce sont les écaillures de la vieille brique qui rendent si vibrant ce ruissellement lumineux : paillettes de grès, lueurs vertes de mousse, creux blanc de sel ou jaune de soufre ou rose, par mille brisures la lumière se joue et se réfracte et s'estompe et s'exalte. C'est une fête de la Venise d'automne et d'hiver, d'un éclat dont seule une brise venue du large sait parfois parer le Bacino, sous le ciel stagnant du sirocco estival.[Liliana Magrini, Carnet Vénitien]

dimanche 10 octobre 2010

PAR UN SOUFFLE MARIN...

©VenetiaMicio
©VenetiaMicio


...C'est avec une sorte d'émerveillement que l'on retrouve, ces jours-ci, en Venise, une ville toute fraîche, comme retrempée par un souffle marin qui la rendrait à d'autres âges vigoureux. Il y a quelques semaines à peine, comme exténuée par l'été, elle s'affalait dans une lassitude cendrée. Mais déjà, sous la danse de lumières dorées irisant ses lézardes, elle semble rejaillir en longs traits blancs. Dans cette dure pierre d'Istrie qui forme la trame secrète et la plus tenace de la ville, celle-ci paraît choisir à chaque saison les lignes qui mieux lui permettent de se reconstruire --de se faire-- dans une souple résistance aux mutations du ciel.
[Liliana Magrini, Carnet Vénitien]

samedi 9 octobre 2010

OLTRE L'ARCOBALENO

©Catherine Hédouin

©Catherine Hédouin


©Catherine Hédouin

©Catherine Hédouin


©Catherine Hédouin


©Catherine Hédouin


Il y a à peu près cinq ans, lors d'un déplacement à Lyon, je séjournais dans un hôtel d'une chaîne italienne, et comme souvent il y a de belles revues mises à disposition. Mon regard fut attiré par un catalogue dont la couverture ressemblait à un arc-en- ciel, cette image représentait le panneau affiché à l'Exposition Universelle de 1889 de Paris, par Angelo Orsini.
En feuilletant les pages, j'ai découvert un article qui parlait de l'Azienda Orsoni, de la splendide biblioteca del colore et qu'elle se trouvait à Venise dans le Cannaregio....
Bien sûr, dès que je suis revenue chez moi, j'ai consulté internet pour en connaître davantage.
Gardant précieusement cette nouvelle adresse où je me promettais d'aller dès le prochain voyage "là-haut". Mon envie de voir un tel lieu se trouva renforcé lors un documentaire vu à la télévison quelque temps plus tard.
En 2008, je suis enfin retournée à Venise, en plein carnaval, et Orsoni était prévu au programme. Au bout d'une heure de recherches, à tourner en rond, à demander à qui voulait bien m'aider, entrant dans hôtel ou autres endroits qui auraient pu m'indiquer mon chemin, je suis enfin arrivée devant une petite porte discrète et dérobée. J'ai sonné et j'ai traversé un petit jardin.
Il n'existait pas "Venise Insolite et Secrète" mais j'ai joué au jeu de piste, ce jour-là, tout comme nous le faisons aujourd'hui avec le précieux guide Jonglez.
Bien, j'étais dans la place. Quelle ne fut pas ma déception que d'entrevoir le lieu, je fus reçu dans un tout petit bureau où je n'aperçus que quelques échantillons, courtois, mais sans plus, il n'était pas possible d'en voir plus !
Mais voilà, notre Chère Catherine, qui a le talent de se faire ouvrir les portes, pour notre grand plaisir, nous a ramenés ces quelques photos, qu'elle a eu l'autorisation de faire lors de sa visite en les lieux. Alors bonne visite à vous

vendredi 8 octobre 2010

DETAILS VENITIENS

©Catherine Hédouin
©Catherine Hédouin

©Catherine Hédouin

©Catherine Hédouin

©VenetiaMicio

©VenetiaMicio

Je suppose que vous êtes encore entrain de rêvasser sur vos altane, et vous avez bien raison, car s'il fait aussi beau à Venise qu'ici en Provence, c'est le moment ou jamais de profiter encore du soleil et de la douceur de cette journée d'octobre...
A force de consulter le guide "Venise Insolite et secrète", cela donne des idées ! Bon sans vouloir vous entraîner dans un nouveau jeu de piste, j'ai pensé que ces quelques photos vous donneront envie de regarder de plus près les jolies portes de Venise.
J'avoue humblement que lors de ma dernière balade dans un de mes petits coins favoris de Venise, ce ravissant heurtoir aux hippocampes qui s'embrassent et qui forment ce bel enlacement en forme de coeurs, a totalement échappé à mon regard.
Heureusement que Catherine était là, moi aussi d'ailleurs, mais je n'ai rien vu !
Donc si vous voulez voir cette beauté, allez donc faire un petit tour vers ma corte préférée...
Je ne semble avoir d'yeux que pour cette ensorceleuse !!!
Le heurtoir à la tête de femme avec les angelots, je vous l'ai déjà montré, lorsque j'ai rendu visite à une vieille porte verte du côté de la Fenice.
La poignée au poisson se trouve dans une petite calle, après la visite au sotoportego del Filatoio.
La dernière porte est beaucoup plus modeste mais elle convient à mon regard, le temps a marqué de son empreinte les planches qui ont perdu leur couleur. Le loquet rouillé la tient close sur un couloir oublié...mais non, regardez comme le pommeau brille, quelqu'un ouvre encore cette porte chaque jour. Peut-être aurez-vous la chance de découvrir son secret en flânant vers le petit pont de la calle de le Oche.

jeudi 7 octobre 2010

UN BELVEDÈRE EN BOIS...

©Catherine Hédouin
©Catherine Hédouin

©Catherine Hédouin




... La chambre donne sur une loggia. En bas je distingue un étroit jardin où coule une fontaine. J'écoute son doux bruit et il me semble qu'il me répète tout bas ces mots magiques : Tu es à Venise, tu es à Venise....
Je n'ai pas envie de dormir. Où peut bien conduire le petit escalier dont j'ai aperçu sur le palier, en entrant dans ma chambre, les premières marches ? Sans doute à quelque grenier ? Essayons. Il s'arrête à une porte qui n'est fermée que par un loquet. Je l'ouvre et je me trouve en plein air sur une plate-forme en bois entourée d'une rampe à hauteur d'appui. Cette terrasse, ce belvédère est posé sur le toit du Palais. De là je domine ses vieilles tuiles en pente et je voisine avec ses hautes cheminées dont l'une s'achève en forme de dé et dont l'autre se termine en entonnoir. Que vois-je encore ? un coin luisant du Grand Canal, le dôme arrondi d'une église, puis d'autres toits, d'autres cheminées, tout cela baigné dans la clarté d'une lune éblouissante, enveloppé d'un silence profond où je perçois cependant, lointain et comme sourdement rythmé, un mumure qui est une présence et que je saurai plus tard être le mumure de la mer montante sur les plages du Lido; mais, ce soir, ce murmure n'est pour moi que la respiration de la magicienne endormie et le vivant soupir de sa beauté. Ce soir, je ne sais qu'une chose, en cette belle nuit de septembre de l'année 1899, c'est que ce silence, ce clair de lune, ce palais, cette terrasse aérienne que je n'appelle pas encore une altana, tout cela, c'est Venise et que je suis heureux...[Henri de Régnier, sur l'altana, l'Altana ou la vie vénitienne ]